JOHN WICK: CHAPTER 4
Chad Stahelski
par Alexandre Fontaine Rousseau
La franchise John Wick repose sur une thèse relativement simple selon laquelle la mise en scène du cinéma d’action devrait se placer toute entière au service de la chorégraphie. C’est une idée qui peut paraître bête, mais qui prend cependant tout son sens quand on regarde le nombre incalculable de séquences d’action mal filmées que produit chaque année l’industrie hollywoodienne. La série oppose aux montages chaotiques et aux cadrages irréfléchis d’un certain cinéma de genre contemporain une clarté, une lisibilité qui redonne au geste sa valeur suprême à l’écran ; c’est le mouvement de l’interprète qu’il s’agit de magnifier, au service d’une intensité qui s’exprime généralement à travers une violence fulgurante.
Le film est d’ailleurs bien conscient de l’absurdité de sa propre prémisse, qui a parfois des allures d’arrière-pensée. À la fin du premier acte de ce John Wick: Chapter 4, Shimazu (Hiroyuki Sanada) fait promettre à John Wick (Keanu Reeves) de tuer le plus de gens possible. Le récit se résume, en quelque sorte, à ce pacte sanglant. La vengeance n’y a plus vraiment d’objet, pas plus qu’elle n’a de sens. Nous sommes ici loin de ces films qui justifient leur violence par un quelconque dispositif narratif. La violence, dans John Wick, est une force strictement élémentale et esthétique. Il s’agit à la fois d’une énergie primitive autour de laquelle se structure le monde et d’une matière visuelle purement cinématographique.
Tout au long de ses 169 minutes, le film de Chad Stahelski s’engouffre donc une fois de plus dans une espèce de tunnel où ne comptent plus que les corps qui s’accumulent et le geste meurtrier. Il existe bien, en guise de noyau moral, un code d’honneur régissant ces échanges – avec ses règles, ses entorses et ses conséquences. Mais, plus que jamais, le traitement qui en est proposé frôle l’abstraction. La famille et l’amitié sont évoquées. Mais tout cela se résume ici à une manière de codifier la violence. L’une des plus belles scènes du film est un rare moment d’accalmie durant lequel John Wick et Caine (Donnie Yen), assis dans une cathédrale, échangent quelques mots mais partagent surtout un long silence.
Ce qui importe, dans cette scène, ce n’est pas tant ce que se disent les deux personnages. L’essence du moment, c’est cet arrêt du mouvement qui s’impose en plein cœur d’un film dont la narration s’avère entièrement cinétique. Il s’agit d’un instant de répit avant la reprise des hostilités ; le dernier acte, on s’en doute bien, ne fera pas de quartier. Laissons donc nos héros reprendre leur souffle et profitons quant à nous de cette pause pour reprendre nos esprits. Stahelski, à cet égard, ne nous déçoit pas : la finale qu’il a concoctée, en guise de point d’orgue de sa série, enchaîne les moments de bravoure à un rythme étourdissant. Mais, tout d’abord, il se permet de nous faire patienter.
Il y a, bien entendu, une portée métaphysique à tout cela. Les John Wick, surtout depuis le deuxième volet de la franchise, cultivent une sorte de poésie existentialiste un peu grossière qui trouve ici son dénouement dans une conception résolument religieuse de la rédemption. Prisonnier d’un cycle de violence auquel il cherche désormais à échapper, Wick gravira ainsi (deux fois plutôt qu’une) les 222 marches qui mènent à la basilique du Sacré-Cœur de Montmartre à la manière d’un pèlerin espérant se repentir. Ce rapport que la série entretient depuis ses débuts à la souffrance trouve dans cette conclusion une nouvelle portée, une signification un peu plus assumée conférant à ce nouveau chapitre une certaine gravité.
Cela dit, ce sont comme d’habitude les séquences d’action qui retiennent le plus l’attention. Entre cet affrontement circulaire autour de l’Arc de Triomphe, cette interminable bataille parmi les néons d’un hôtel d’Osaka et ce combat brutal opposant Wick à Killa (Scott Adkins) en plein rave berlinois, John Wick: Chapter 4 multiplie les extravagances sans jamais perdre de vue l’intelligibilité. Qu’il s’agisse de Akira (Rima Sawayama) gravissant petit à petit le dos d’un adversaire en y plantant ses poignards, ou d’un Caine aveugle employant sa canne afin de guider ses coups, l’exécution brille toujours autant par sa netteté que par son intensité.
Sans contredit, la présence de Donnie Yen au générique constitue d’ailleurs l’une des principales qualités de cette suite. Élevant constamment d’un cran le niveau des chorégraphies, l’acteur nous rappelle par chacune de ses apparitions son talent et sa maîtrise sans égal. Renouvelant le vocabulaire physique de la franchise par l’élégance et la précision de ses gestes, Yen risque d’ailleurs par moments de voler la vedette à Reeves ; mais les deux acteurs finissent par se compléter mutuellement à l’écran, se faisant écho sans jamais porter ombrage l’un à l’autre.
À juste titre, la perspective d’un John Wick long de près de trois heures a de quoi intimider même le plus fervent des fidèles de la série. Ce qui étonne, toutefois, c’est l’aisance avec laquelle Stahelski transcende cette durée. À force d’épuration, son film en vient à exister par-delà le temps qui défile ; il n’existe plus, durant un moment, que le spectacle hypnotisant de ces corps en mouvement aux trajectoires gracieuses et foudroyantes. Pour peu que l’on se prête au jeu, l’expérience possède une qualité presque méditative. Comme si, par-delà le bruit et la fureur, le film aspirait à une sorte de calme qu’il arrive finalement à atteindre, hissant John Wick: Chapter 4 bien au-dessus de la mêlée.
23 mars 2023