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Critiques

John Wick : Chapter Two

Chad Stahelski

par Alexandre Fontaine Rousseau

Élégant dans sa brutalité, d’une virtuosité sans reproche, John Wick (2014) de Chad Stahelski et David Leitch est l’un des meilleurs films d’action des dernières années – une série B assumant franchement sa nature fétichiste, délestée de toute autre prétention que celle de péter des gueules avec un maximum d’efficacité. Sa suite n’avait qu’à suivre son exemple pour trouver grâce à nos yeux. Mais John Wick : Chapter Two, tout en respectant les grandes lignes tracées par son prédécesseur, s’affaire discrètement à transcender la formule. L’effet de surprise s’est évidemment dissipé, remplacé par une volonté consciente d’élever l’action au rang de geste artistique. L’épuration du premier film devient ainsi pureté, dans ce deuxième chapitre plus ouvertement réflexif.

John Wick : Chapter Two est un pur film d’action, mais c’est aussi un film à l’action pure – en ce sens que la mise en scène s’y concentre entièrement sur l’action, la magnifiant et l’esthétisant jusqu’à ce que celle-ci ne soit plus qu’un ballet fascinant de formes et de couleurs baignant dans une violence qui devient énergie à l’état pur. John Wick transcende sa violence; car la violence, dans l’univers de John Wick, n’est plus un « choc » mais au contraire la norme, la monnaie d’échange et le mode de dialogue. Elle est codifiée, régulée; elle est cette sauvagerie contrôlée que l’homme cherche à dominer par l’idée même de « civilisation ». Elle est à la fois force de destruction et de création; elle devient la matière première de l’expression artistique, ce par quoi l’homme se révèle à lui-même.

Dans le premier John Wick, notre titulaire héros et l’univers dans lequel il évoluait existaient en retrait du monde « normal »; cette guilde d’assassins à laquelle le film nous initiait par une série d’allusions et d’insinuations fonctionnait à la manière d’une société secrète en marge du réel. Dans John Wick : Chapter Two, ce prétendu réel n’existe plus – comme si le film révélait qu’il n’avait jamais été autre chose qu’une illusion sur laquelle reposait un ordre truqué, falsifié. La surface du rêve s’est brisée; le sol est couvert de milliers d’éclats sur lesquels se reflètent à l’infini les silhouettes des combattants. L’ultime morceau de bravoure de ce chapitre deux est une fusillade parmi les miroirs d’un musée d’art contemporain qui évoque la finale du Lady From Shanghai d’Orson Welles.

Cette juxtaposition cristallise parfaitement cette tension fondamentale constituant l’essence esthétique du film : l’art magnifiant la violence, la violence nourrissant l’art… Une éclaboussure de sang sur un mur blanc fige dans l’espace du musée (et dans le langage de l’art) l’acte violent; les chorégraphies, comme les mouvements d’une danse cruelle, reproduisent inlassablement l’instant de la mise à mort. Réduisant le récit à sa plus simple expression, John Wick : Chapter Two ne conserve du film d’action que sa puissance iconographique : une série de postures, une suite d’affrontements, la menace de la mort qui plane sur un écran devenu simple rapport de force. Il n’y a pas non plus d’ambiguïté dans la manière dont John Wick tue : la clarté du geste souligne l’autorité de la mort, la fermeté suprême de cette finalité.

Il y a quelque chose du rituel dans l’enchaînement méthodique de ces mouvements que John Wick semble condamné à répéter. Car John Wick est bel et bien prisonnier de ce cycle de violence, de cette force gravitationnelle à laquelle il avait cherché à échapper. Impossible de sceller cette dalle de béton brisée qui recouvrait ses armes et son passé : John Wick n’existe plus que par l’entremise de la violence. C’est le rôle qui lui a été assigné, auquel le rattache un pacte signé avec son sang. La fin de ce chapitre en annonce un autre à venir, placé celui-là sous le signe de l’exil. C’est comme si le propre des réalités, dans cette franchise, était de s’effriter – laissant son héros seul parmi les ruines de ce qu’il croyait être le réel.

La bande annonce de John Wick : Chapter Two


14 février 2017