Julia
Erick Zonca
par Helen Faradji
Rouge sang, rose fuschia, vert pétard, roux flamboyant : Julia n’est pas de ces femmes qui se noient discrètement. La débauche, d’accord, mais en technicolor, avec paillettes, rires-rugissements et grandes tapes dans le dos. Tant qu’à s’abîmer, autant le faire en fanfare. Comme le ferait une cousine dévergondée de Barfly ou un clône trash et amoral d’Erin Brockovich, Julia vacille avec panache. Comme le ferait un vrai personnage de cinéma complexe, indéfinissable, entier, Julia a cette présence, magnétique et décadente, qui nous happe de la première à la dernière seconde.
Julia, c’est l’héroïne rêvée (cauchemardée?) avec une intelligence rare par Erick Zonca, le cinéaste de La vie rêvée des anges, du Petit Voleur, disparu des écrans radars depuis trop longtemps. Une fille à la dérive que l’alcool réconforte à peine en attendant la chute. Une fille qui se perdra dans les dédales de son cerveau embrumé et embarquera dans une histoire improbable de kidnapping d’enfant. Une fille, obligée dès lors de traîner à ses basques un gamin terrorisé et qui trimballera sa grande carcasse maigre dans les déserts rocailleux habitant les grands espaces entre Los Angeles et Tijuana pour peut-être y trouver sa rédemption.
Julia, c’est aussi 3 films dans le film, chacun s’imbriquant l’un à l’autre avec énergie et habileté, sans cassure, pour parvenir à constituer un portrait de femme aussi unique que fascinant. Une dose de drame social urbain, rappelant l’amertume d’une gorgée de whiskey, observé avec calme, presque résignation par Zonca. Une lampée de road-movie ensoleillé et troublant, aussi brûlante qu’une rasade de tequila, qu’accompagne une caméra à l’épaule sèche et nerveuse. Un thriller ultra-réaliste, piquant comme une shot de vodka, où les couleurs criardes et brillantes du début s’atténuent peu à peu, au fur et à mesure que Julia se révèle à elle-même. L’équilibre du tout titube parfois, sous le poids de quelques longueurs, mais l’ensemble n’en reste pas moins cette fresque envoûtante, sensible, troublante donnant à voir droit dans les yeux l’humanité d’une femme à nu.
Mais Julia, c’est enfin, et peut-être surtout, une actrice qui investit le rôle avec une fougue et une animalité époustouflantes. Tilda Swinton, l’unique, capable de porter cette femme au bord de la crise de nerfs au-delà du cliché, au-delà du fantasme, capable aussi d’habiter physiquement le cadre de bout en bout de ce film, modulant son intensité avec le doigté et la finesse d’un maestro. Une actrice rare, incomparable de justesse et de fêlure, à la mesure de ce personnage tout aussi précieux, que regarde avec une admiration non-feinte un réalisateur tout aussi subjugué que nous. Si le récit même de Julia fait forcément penser à la Gloria de Cassavetes, c’est peut-être d’abord et avant tout le regard de Zonca qui évoque la filiation, tant ses images semblent résonner, et avec raison, du même émerveillement que celui qui animait le grec lorsqu’il détaillait sa grande Rowlands.
Qu’il ne nous ait pas été donné d’admirer cette évidente rencontre entre un personnage, une actrice et un réalisateur à sa juste valeur, que la version offerte sur dvd le soit sans sous-titres ni supplément digne de ce nom, que ce film admirable n’ait pas su être accompagné comme il le fallait marque sans nul doute la première vraie déception de ce début d’année.
7 janvier 2010