Kaboom!
Greg Araki
par Helen Faradji
En 2004, débarquait dans notre univers cinéma un véritable ovni, Mysterious Skin. Ovni, parce qu’il prenait le pouls d’une jeunesse américaine paumée et malmenée avec une sincérité, une pudeur, une grâce mélancolique et un sens formel tout simplement sublimes. Ovni aussi, parce qu’il faisait dérailler l’oeuvre de Gregg Araki de son cheminement générationnel post-punk, la faisant du même coup atteindre des sommets inimaginables. Pourtant, pour être juste, pour pouvoir absorber pleinement ce nouveau Kaboom, ce sont bien aux premiers essais délirants du cinéaste, Totally F***ed Up, The Doom Generation et Nowhere, cette « trilogie de l’apocalypse adolescente » (oui, oui), qu’il faut se référer. Oublier Mysterious Skin, magnifique accident de parcours, et aussi Smiley Face, pochade sans charme qui tentait péniblement de faire revivre la touche Araki en 2007.
Un retour aux sources, donc, que ce Kaboom, présenté l’année dernière en sélection officielle cannoise. Parce qu’on y retrouve les thèmes chéris du trublion : l’adolescence, androgyne et sexy (les acteurs ont tous largement dépassé l’âge requis, mais les conventions, chez Araki, n’existent que pour mieux partir en fumée), la fin des temps comme une voile morose qui viendrait couvrir cette énergie brouillonne de la jeunesse sans pourtant ne jamais l’alourdir (let’s have fun before we die!), les plaisirs artificiels (les bonnes vieilles portes de la perception huxleyennes). Tout est là, à la fois reconnaissable et entièrement nouveau.
Car Araki, s’il retrouve ses marques, les revisite pourtant entièrement à l’aune d’un plaisir cinéphile aussi vivant que vibrant. Un jeune étudiant de 19 ans (Thomas Dekker, d’un sex-appeal absolu) cherche à élucider la disparition d’une mystérieuse rousse. Et hop, voilà pour Twin Peaks. Il a des visions particulièrement atroces de ce qui lui est arrivé. Et une couche d’Argento et de Mario Bava. Il partage ses angoisses avec sa meilleure amie, Stella, étudiante comme lui, et sa blonde, London, tout en fantasmant sur son coloc, Thor (!). Du cul, des pétards et une université. Et voilà la porte d’entrée pour l’humour Farrellien. On s’ajoute une louche de Bunuel, de Cronenberg, de J.J. Abrams, de Richard Kelly et surtout de John Waters, visiblement maître à penser d’Araki, – toutes ces références étant parfaitement assumées – et voilà le gâteau à la crème référentiel débordant de tout bord tout côté pour mieux laisser éclater le plaisir, simple et sensible, du jeune réalisateur à faire du cinéma.
C’est exactement cela qui séduit dans ce Kaboom délirant et éclaté : cette joie quasiment palpable du cinéaste à trifouiller dans la grande boîte à outils du 7e art. Couleurs fluo, visite des genres et de la série B, dialogues ironiques et bien sentis (notre héros, étudiant en cinéma, avouera: « c’est comme étudier une espèce en voie de disparition ») Partant de la même base un triangle amoureux adolescent où les genres sexuels ne sont plus qu’une survivance d’un temps ancien Araki réussit exactement ce que Xavier Dolan paraissait incapable de faire dans ses Amours imaginaires : déclarer son amour du cinéma dans un grand cri jouissif et aérien, en refusant absolument de se prendre au sérieux. On peut le regarder sous n’importe quel angle, le constat est irréfutable : Kaboom n’est pas un film, mais une farce entièrement dédiée au plaisir, au fun. On peut décider de bouder et de trouver cela bien peu digne de l’art. Ou s’abandonner et préférer au contraire penser que cette vitalité, cet engouement presque enfantin à tout réinventer, tout bousculer, cet amusement perpétuel est au contraire le bon coup de pied au cul dont a parfois besoin le cinéma.
5 mai 2011