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Critiques

Kill The Messenger

Michael Cuesta

par Céline Gobert

Véritables joyaux indie, L.I.E et 12 and Holding, les deux premiers films de Michael Cuesta, témoignaient de la naissance prometteuse d’un cinéaste au regard sans concession sur la jeunesse américaine. Comment Cuesta – qui osait alors aborder (voire mélanger) des thématiques aussi dérangeantes que la pédophilie, l’homosexualité, le deuil et l’enfance – en est-il arrivé à produire et à réaliser des épisodes de séries TV (de Dexter à Homeland en passant par True Blood) aussi éloignés de son univers singulier ? Mystère. Quoi qu’il en soit, cette reconversion télévisuelle emplit tous les recoins de Kill the Messenger, troisième (et en comparaison bien fade) long-métrage de l’auteur qui retrace les malheurs du journaliste Gary Webb (seconde collaboration avec Jeremy Renner) dont la vie et la carrière s’effondrent après la révélation, dans les pages de son journal, des liens scandaleux qu’entretiennent la CIA, les trafiquants de drogue des banlieues américaines et les Contras, rebelles armés du Nicaragua. « You have the right to free speech as long as you’re not dumb enough to actually try it », clame ironiquement le morceau des Clash sur la bande-son.

Plus proche d’Homeland que des Hommes du Président d’Alan J. Pakula (sur le scandale du Watergate), Kill the Messenger possède un intérêt formel extrêmement limité: Cuesta travaille correctement le rythme de l’intrigue (basée sur deux livres) et l’alternance de séquences « vie professionnelle » / « vie personnelle » mais n’atteint jamais l’intensité d’une Veronica Guerin de Joel Schumacher par exemple. En outre, s’il soigne un rendu élagué très Jason Bournien, il n’obtient ni la même nervosité (du montage) ni la même qualité (du storytelling) que son modèle. Le plus intéressant est donc à chercher ailleurs, et notamment dans la résonance contemporaine que possède le récit. Si The Company you keep de Robert Redford, sorti il y a deux ans, s’intéressait à ce qu’est le journalisme à l’heure des ambitions et des concurrences forcenées (via le reporter interprété par Shia Lebeouf), Kill the Messenger capte quant à lui le moment charnière où tout a basculé.

Une scène illustre tout particulièrement le tournant qu’a vécu l’information à la fin des années 90 : la famille de Gary, réunie autour d’un écran d’ordinateur, ouvre avec enthousiasme une modeste page web. « Dark alliance », série d’articles qui mènera le lauréat du Prix Pulitzer jusqu’au suicide, est lancée. Aux balbutiements du géant essor que connaîtra l’Internet, Gary Webb est alors l’un des premiers reporters à incarner et à vivre ce changement majeur dans les pratiques journalistiques. Les ramifications et les problématiques de sa true story rencontrent, à cet instant précis, les virages de la grande Histoire : c’est ce choc fascinant, ainsi que ses paradoxes, que capte Cuesta. In fine, la multiplication des canaux de diffusion de l’information, a permis d’étendre la portée du discours autant qu’elle l’a étouffé, limité, uniformisé. Ce qu’évoque Kill the Messenger, c’est le début de la fin de cette époque, où le journaliste croyait encore à l’impact politique et social du Quatrième pouvoir, et où posséder un bon regard critique et un souci de la vérité suffisait à se faire entendre.

Le film, sans forcément offrir de réflexions étoffées sur ce qu’il aborde (à nous de le faire), se suit toutefois sans déplaisir, grâce à son intéressante distribution masculine : Barry Pepper, Oliver Platt, Andy Garcia, Ray Liotta et Michael Sheen. Du côté des femmes, Paz Vega (dans le rôle d’une source) et Rosemarie DeWitt (dans celle de l’épouse de Webb) se retrouvent hélas à incarner des personnages bâclés qui n’aideraient certainement pas le film à passer le test de Bechdel. Sue, l’épouse et la mère, est notamment sans cesse retenue dans l’ombre du personnage principal masculin. Elle aurait largement mérité un plus long temps … de parole et d’expression !

 

La bande-annonce de Kill the Messenger


9 octobre 2014