Kuessipan
Myriam Verreault
par Robert Daudelin
En 2012, pour les besoins d’une recherche documentaire, Myriam Verreault visite une réserve indienne de la Côte-Nord. Quelques mois plus tard, elle découvre le livre de Naomi Fontaine « Kuessipan » : l’idée d’un film vient de naître, un film qui mettra 7 ans à voir le jour.
Peut-être est-ce ce trop long parcours, comme la volonté de la cinéaste de ne pas trahir ceux qui l’ont si bien accueillie, qui explique les limites du film que nous découvrons aujourd’hui ; ce sont sans doute ces mêmes raisons qui lui confèrent les qualités bien réelles qu’il faut lui reconnaître.
Myriam Verreault, bien soutenue par sa productrice Félize Frappier, a à cœur de nous transmettre une image positive de la communauté innue de Uashat ; de nous sensibiliser aussi aux composantes sociales et culturelles qui surdéterminent l’existence de cette communauté. Pour y arriver, la cinéaste s’appuie sur un scénario très construit, avec rebondissements qui relancent périodiquement l’action. Or ce scénario justement est trop construit ; il ne respire pas suffisamment. On aurait aimé que ses personnages, si forts, si déterminés, soient plus libres, moins captifs du déroulement du film.
Par ailleurs la volonté, tout à fait estimable, de la cinéaste de bien traduire la réalité de la réserve donne parfois au film des allures de docudrame un brin démonstratif, ce qui a pour conséquence d’affaiblir sa portée. Mais peut-être est-ce là le prix à payer pour faire œuvre utile et rattraper le retard qui est bien le nôtre vis-à-vis de nos concitoyens innus.
L’avers (positif) de la médaille, c’est que Kuessipan nous permet de pénétrer dans le quotidien d’une réserve. Jamais a-t-on vu d’aussi près la « vie ordinaire » de ces gens : leurs domiciles, leurs fêtes, leurs sorties, leurs problèmes familiaux – même l’aréna et la joute de hockey commentée sont ici présents. Cet aspect du film, une de ses réelles qualités, lui confère un caractère documentaire précieux : ces images de la vie au jour le jour prennent soudainement un sens hors du commun et nous émeuvent autant que les pérégrinations de Mikuan et Shaniss, les deux jeunes héroïnes du film.
Kuessipan est également une réussite au niveau du travail des comédiens1. Yamie Grégoire et Sharon Fontaine-Ishpatao portent le film, lui donnent sa force. Les moments de rencontre entre les deux jeunes femmes (la longue explication aux toilettes, après l’œil au beurre noir de Shaniss ; leurs adieux, quand Mikuan quitte la réserve pour le cégep) sont parmi les beaux moments du film, des moments d’une réelle émotion à laquelle participe assurément la troublante retenue dans les gestes. Cette même émotion imprègne toutes les scènes de la vie familiale chez Mikuan : la complicité douce entre les parents, la présence réconfortante de la grand-mère, la bonne humeur du réveillon.
Si le personnage de Francis, le Québécois « de souche », nous apparaît beaucoup plus faible, c’est moins au travail d’Étienne Galloy qu’il faut s’en prendre – il est souvent juste – qu’à la caractérisation du personnage qui semble trop souvent (notamment dans la scène de rupture) répondre aux exigences de la démonstration, piège redoutable s’il en est.
Film généreux, qui donne la parole à des citoyens qui ne l’ont pas souvent eue, Kuessipan, malgré ses limites, est un film qui s’inscrit dans une démarche d’écoute, d’observation de l’intérieur, initiée par Avant les rues de Chloé Leriche. De ce fait, c’est un film précieux qui prend sa place opportunément dans le développement du cinéma québécois.
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1. La plupart non-professionnels, ils ont bénéficié du « coaching » de Brigitte Poupart dont Myriam Verreault reconnaît la contribution exceptionnelle – ce qui lui vaut en retour un caméo bien mérité en professeure de français.
Québec 2019 / Ré. Myriam Verreault / Scé. Myriam Verreault, Naomi Fontaine d’après le livre de l’auteure / Ph. Nicolas Canniccioni / Mus. Louis-Jean Cormier / Mon. Amélie Labrèche, Sophie Leblond, Myriam Verreault / Int. Yamie Grégoire, Sharon Fontaine-Ishpatao, Étienne Galloy, Cédrick Ambroise, Caroline Vachon, Mike Innu Papu McKenzie / 117 minutes / Dist. Filmoption international.
25 octobre 2019