Kumiko, The Treasure Hunte
David Zellner
par Céline Gobert
Dans son sweat à capuche écarlate, Kumiko a l’air d’un petit chaperon rouge. Sa vie n’a cependant rien d’un conte de fées et les grands méchants loups tokyoïtes ne manquent pas: un patron stupide, des collègues superficielles, une mère désagréable et peu aimante… la triste et passive Kumiko est plus seule que seule et n’a que son lapin Bunzo pour égayer des journées mornes qui l’isolent toujours plus du monde extérieur. « Ceci est une histoire vraie » insère non sans ironie le méconnu David Zellner en début de film, chipant le texte affiché dans l’ouverture de Fargo des frères Coen, oeuvre culte par laquelle Kumiko est véritablement obsédée, persuadée qu’elle dépeint de vrais événements. Un plan, dès les premières minutes, englobe à la fois le lapin dans sa cage, la japonaise Kumiko dans son appartement, et la télévision de forme carrée. Par cette analogie de l’enfermement, Zellner annonce le drame à venir: Kumiko prisonnière de sa vie, de son esprit, de son habitat, va bientôt s’enfermer dans la fiction. En effet, très vite, l’obsession de Kumiko pour Fargo revêt les contours de la folie. Isolée, dépressive, Kumiko se met à croire dur comme fer qu’un vrai trésor se cache dans l’état américain du Minnesota. Prenant les Frères Coen au mot et croyant la fiction réelle, la jeune fille de 29 ans se met alors en tête d’aller récupérer la valise pleine de billets verts qui transformerait peut-être son existence sans éclat. Avec une carte à trésor en tissu qu’elle a elle-même confectionnée, elle décide naïvement de tout quitter pour rejoindre l’Amérique. Dès lors, on assiste à l’observation de l’aliénation progressive d’une outsider, et le film n’apparaît comme rien d’autre qu’un grand drame sur la solitude et l’isolement.
Avec une bande son hypnotique signée The Octopus Project, qui se prête à merveille à l’atmosphère onirique du film et au caractère lunaire de l’héroïne nippone, le cinéaste trace la géographie mentale de la jeune femme, un peu comme le faisait Isabel Coixet dans Maps of the sounds of Tokyo qui mettait déjà en scène l’actrice Rinko Kikuchi. On peut même parler de peinture sonore du personnage tant les sons, les morceaux, les notes nous renseignent sur les émotions et les états d’âme de la secrète et mystérieuse Kumiko. C’est ainsi que la chanson Dream de Pete Drake & His Talking Steel Guitar fait le lien entre le Japon et l’Amérique, dans ce long couloir d’un blanc immaculé qui relie la porte d’embarquement à l’aéroport du Nouveau Monde et dans lequel la nippone nourrit encore mille espoirs. « Dream » pour dire le rêve, mais aussi pour signifier l’enfoncement graduel dans la psyché de la jeune fille, qui se retrouve dans un lieu inconnu, où l’on parle une langue inconnue. En plus du langage et du décor qui diffèrent de son pays natal, Kumiko vit un véritable choc culturel, qui vient sans cesse faire écho à la distance qu’il y a entre elle et le monde extérieur. D’ensorcelante et mélancolique, comme ce spleen qui lui colle à la peau, la musique se fait de plus en plus inquiétante à mesure que Kumiko s’enfonce dans le froid mortel de l’hiver. Jusqu’aux douces notes qui bourgeonnent sur des images de branches d’arbres glacés et enneigés, la vie de Kumiko n’aura été qu’observation et souffrance. Finalement, c’est dans cette délicate mélodie finale que Zellner libère son héroïne neurasthénique et nous fait une promesse: quelque part, elle a trouvé paix et repos.
Afin de mettre en images cette histoire atypique, inspirée d’une véritable légende urbaine du Minnesota, Zellner a fait appel au directeur de la photographie Sean Porter qui signe un travail soigné et élégant, débordant d’amour pour le cinéma et l’image. Chaque plan est minutieusement bâti autour d’une poétique de l’absurde et d’une figure de loser que ne renieraient pas les Coen. Leur petit dernier, Inside Llewyn Davis, en est le parfait exemple. A l’instar de Kumiko, le chanteur folk paumé chez Ethan et Joel se servait de l’art (la musique) comme d’une échappatoire à l’intolérable cruauté du réel. Ici, dans son entêtement à considérer Fargo comme un morceau authentique de vie, Kumiko nous rappelle à une belle et essentielle dimension du cinéma, ce vecteur de rêve(s) et d’imaginaire(s): c’est à dire à la distanciation qu’il permet de prendre avec le réel, et à la part de liberté qu’il offre à fuir à la fois l’instant et le soi. En effectuant un fatal et grand plongeon dans un imaginaire épuré, qui ne fonctionne qu’à la puissance d’un invisible hors champ, Kumiko s’impose comme une héroïne de cinéma grandiose, définitivement hermétique, et goulûment avalée par la bande froissée d’une VHS-trésor grâce à laquelle elle finit par trouver une certaine forme de liberté. Il faut bien le dire: cela ne s’invente pas !
La bande annonce de Kumiko, The Treasure Hunter
16 avril 2015