La belle bête
Karim Hussein
par Philippe Gajan
Synopsis: Dans une grande maison isolée, une jeune femme devient dangereusement jalouse de son frère à qui sa mère donne toute son affection. Guidée par ses émotions et sa folie, l’adolescente se vengera de tous.
La Belle Bête a vécu un très désagréable paradoxe lors de sa sortie. Surmédiatisé, à la fois grâce à la présence du jeune acteur montant Marc-André Grondin et dans une moindre mesure grâce à l’adoubement de Marie-Claire Blais qui avait participé à l’adaptation de son propre roman culte, le film a pourtant été boudé par les spectateurs et assassiné par une certaine critique (y compris dans nos pages). Sa sortie en DVD, lui permettra-t-il une seconde (et vraie) vie?
Retour donc sur un film qui se présente en apparence comme la chronique familiale d’une mère abusive (Carole Laure), de son fils adulé (Marc-André Grondin) et de sa fille rejetée (Caroline Dhavernas), sous les regards du spectre d’un père décédé (par accident?).
Un retour souhaitable car on a le sentiment sinon d’une injustice, du moins d’un gigantesque malentendu autour du film, probablement dû à sa différence d’avec le tout venant du cinéma québécois. Ni tout à fait film d’auteur, ni film de genre, selon bien sûr les canons en vigueur, probablement un peu des deux, le film se refusait à un classement hâtif et d’ailleurs ne le revendiquait nullement. Il revendiquait pourtant une famille, celle du cinéma, et ce de façon brillante en s’ancrant sur une idée de mise en scène très forte, celle de la fusion, dans les thèmes abordés l’amour fusionnel, la famille , comme dans les images à l’écran ou la musique. Dans La Belle Bête, tous les éléments, chaque scène, chaque moment, semblent effectivement conduire à une fusion, à une dissolution d’un corps dans un autre : la mère et son fils face à un miroir, le fils Patrice et son cheval, Patrice et sa sur, Patrice et l’eau voire même la scène de l’accouchement qu’on peut à l’inverse penser comme « exercice » de défusion.
En ce sens, cette idée de mise en scène est l’épine dorsale d’un récit qui s’apparente à une tragédie et qui en respecte finalement les codes : malédiction familiale, tentative vaine d’affronter le destin, violence sourde, toujours à fleur de peau (ou d’écran), jusqu’à cette figure tutélaire surréaliste, cet homme à tête de cheval qui visite ce microcosme d’amour-haine On est loin des drames (petit) bourgeois qui, plutôt que hanter nos écrans, ne font que passer. Ici, dans un Québec intemporel, la vieille demeure familiale n’est plus un décor mais un personnage à part entière, comme ce ciel plombé ou encore cette nature à la fois inquiétante et immuable. Un film véritablement ambitieux qui disposait donc de nombreux atouts outre son casting extrêmement en vue.
Alors, qu’est-ce qui n’a pas marché? Comme on l’a dit, l’impossibilité de le classer, une impossibilité qui déjouait dès lors toutes les attentes? Le relatif contre-emploi pour lequel Marc-André Grondin était utilisé? Le film n’est certes pas parfait et qui le voudrait d’ailleurs? Il n’est pas lisse et s’apparente par moment à un essai, à plusieurs essais qui peinent - curieusement vu ce qu’on a dit auparavant -, à se fondre les uns aux autres. Le film n’a pas réellement d’unité. Mais reste qu’il ose, propose et que son ambition lui fait honneur. Karim Hussein qu’on connaissait pour ces images visuellement violentes (Subconscious Cruelty) où l’envie de provoquer jouxtait un réel sens de l’image, a ici exploré une violence plus diffuse, une violence d’abord intérieure qui suinte avant d’exploser. Ce qui ne fait certainement pas de La Belle Bête un film gore ou extrême!
D’ailleurs, La Belle Bête ne revendique guère de filiation ici, et c’est peut-être ce qui lui a nui. Comment penser sans référence? Peut-être au Japon où, parmi tant d’autres, un cinéaste comme Kiyoshi Kurosawa à la renommée aujourd’hui mondiale a prouvé que la dichotomie cinéma d’auteur / cinéma de genre (ou commercial) était dépassée. Et si cette façon de penser le cinéma déstabilise ici aujourd’hui, alors tant mieux car il n’est rien de plus triste qu’un objet qui tout en se faisant passer pour un film, ne fait que conforter le spectateur dans ses certitudes.
21 mars 2007