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Critiques

La belle personne

Christophe Honoré

par Géraldine Pompon

Après Dans Paris et Les Chansons d’amour, Christophe Honoré ferme avec La Belle personne le dernier volet d’une trilogie sur la jeunesse, l’amour et Paris. L’incorruptible enfant de la Nouvelle Vague et de Jacques Demy adapte le roman de Madame de La Fayette, La Princesse de Clèves, et nous transporte librement de la cour royale du XVIe siècle à la cour actuelle du lycée Molière situé dans le XVIe arrondissement de Paris. Ils ont l’âge de tous les possibles, la beauté du diable et portent en eux l’amour comme une maladie grave et pleine de grâce. Christophe Honoré capte avec ce dernier tableau l’éclat noir et absolu d’une adolescence fracassée par une intensité mélancolique.

L’intrigue principale se noue autour de Junie (Léa Seydoux) une adolescente envoûtante de seize ans. Suite à la mort de sa mère, elle s’installe chez son cousin Mathias avec qui elle partage désormais son nouveau lycée. C’est le premier cours. Le prof d’anglais est un connard. Les regards se posent sur elle comme des papillons sur la plus belle fleur du mal. Elle se fait courtiser par les garçons de la bande, mais c’est Otto (Grégoire Leprince-Ringuet), le jeune Breton qui sentait bon l’Atlantique et le citron dans Les Chansons d’amour, qui sera son chevalier. Et puis sur un air de La Callas, c’est l’attaque cardiaque, le coup de foudre douloureux qui emporte Némours, le prof d’italien (Louis Garrel) et la nouvelle aux yeux si joliment cernés.

Le pouls du lycée s’emballe au rythme des chassés-croisés amoureux. Otto et Némours sont fous de Junie. Junie étouffe sa passion pour Némours afin de ne pas la laisser mourir de vieillesse. Car « S’aimer c’est s’aimer pour un certain temps, il n’y aura pas de miracle pour nous » lui dit-elle. Mathias trompe Esther avec Henri et Henri avec Martin. Des messages courent le long des pupitres de la classe. Des baisers arrogants se perdent au pied des escaliers. Une lettre d’amour s’égare de mains en mains. Des fesses nues reçoivent des caresses interdites derrière une voiture. Secrets, confidences, trahisons et révélations organisent le quotidien de ces adolescents qui se percutent, s’interdisent et se désirent à coup de mots, à coup de poings. En périphérie de leur planète aphrodisiaque gravitent d’autres histoires comme celle de la mystérieuse femme du centre de documentation, racontée dans un somptueux petit film tourné en super 8. Et puis il y a Nicole, la plus fanée de toutes, qui les chouchoute et les écoute derrière le comptoir de son bar et pour qui cela fait vingt-trois ans qu’un homme n’a pas mis sa langue dans sa bouche.

Dans un élan de condensation qui ramène tout à l’essentiel, l’espace se contracte entre le lycée et le bistrot et s’épanouit dans les rues adjacentes. Le lycée d’un autre âge avec ses murs comme des chairs en lambeaux, ses galeries ouvertes où chacun est à la fois acteur et spectateur, creuse l’intemporalité de la tragédie. Le bistrot devient une excroissance rassurante où l’on se cache, où l’on se dit tout, où l’on sèche les cours pour regarder la vie autour de soi quand on a les cheveux mouillés par l’orage. Dans ce regard si libre, il y a des amoureux qui s’embrassent, un cuisinier qui épluche tendrement une pomme de terre, des souvenirs cinématographiques avec le sourire de Chiara Mastroianni (brève apparition de cette autre Princesse de Clèves dans La Lettre de Manoel de Oliveira), et enfin et surtout les réminiscences, au goût doux-amer du passé, pour tout ceux qui se sont abrités si souvent des averses ou des cours dans le café d’à-côté. Et Paris, qui bat la mesure dans le spleen de l’hiver, déploie ses artères désolées, incolores, souvent tristes du souvenir de la pluie où résonne encore la chanson d’Otto.

Comme la pluie nous manque parfois
Un orage aurait plus d’allure
Pour se crier ces choses là
Se jeter ces mots à la figure
Comme la pluie nous manque parfois
Comme le soleil nous tue
Comme ses rayons nous semblent froids
Quand on ne s’aime plus

Comme les forces nous manquent parfois
Une bagarre aurait plus de gueule
Passer ton visage à tabac
Qu’enfin plus personne n’en veule
Comme les forces nous manquent parfois
Comme nos bras nous trahissent
Lorsque l’amour entre nos doigts
Comme le sable glisse

Comme les pleurs nous manquent parfois
Un mélo aurait plus de classe
Quelques larmes, nous valons bien ça
Mais c’est trop demander hélas
Comme les pleurs nous manquent parfois

Comme la nuit nous manque parfois
Le noir serait plus à mon goût
Ces étoiles comme autant de croix
Tout un ciel en deuil de nous
Comme la nuit nous manque parfois
Comme elle tarde à venir
Quand elle tombe, ne trembles-tu de ça ?
Toutes ces nuits à venir…

Comme la pluie d’Alex Beaupain

 


11 juin 2009