Critiques

La chute de l’empire américain

Denys Arcand

par Alexandre Fontaine Rousseau

Viens icitte, le jeune. Mononc’ Denys va te le dire c’est quoi, le problème. Il en a lu des affaires. Pis là, il vient d’écrire un nouveau film pour faire la synthèse de toutes ces belles lectures là – qui vont d’Aristote au Journal de Montréal en passant par le dernier Alain Deneault, dans lequel il a tout appris sur les paradis fiscaux. As-tu entendu parler de ça, les paradis fiscaux ? Fais toi en pas, mononc’ Denys va toute t’expliquer ça. Mononc’ Denys a des opinions sur toute. Pis ce que mononc’ Denys sait que tu sais peut-être pas, c’est que toute est dans toute : les gangs de rue, les banquiers suisses, les étudiants de l’UQAM, les féministes, la police et les Canadiens de Montréal qui ne vont pas faire les séries encore cette année… Tout ça, c’est lié. Pis c’est pour ça qu’on fait des films. Pour lier les choses les unes aux autres. C’est ça, le cinéma.

La chute de l’empire américain, qui vient « après le déclin » comme nous le rappelle inutilement l’affiche, est un gros film. Dans tous les sens du terme : grosses ambitions, grosses ficelles, grosse distribution, gros discours. Arcand a beau faire comme si c’était une « petite vue », un film de genre mettant en scène des gangsters et des policiers qui se disputent pour une poche de hockey pleine d’argent, nous ne sommes pas dupes. Ça commence sur une tirade empreinte de condescendance sur le fait que les gens intelligents n’ont pas de compte Facebook et que les idiots aiment les imbéciles (ou l’inverse, mais qu’importe) et ça n’arrête pas une seule seconde après ça. On a parfois l’impression de regarder sa version d’un Bye Bye couvrant les quatre années qui séparent ce film du Règne de la beauté, qu’à peu près personne n’a vu de toute façon.

Mononc’ Denys, au cas où tu ne le saurais pas, n’a plus rien à perdre – tout comme son sempiternel personnage de pseudo intellectuel qui beurre épais ses grands penseurs au petit déjeuner parce qu’il faut bien que ça serve à quelque chose, un doctorat en philosophie. Alors il se lâche lousse. Il donne tout ce qu’il a à donner, sans compter. Le moins que l’on puisse dire, c’est que La chute de l’empire américain est un film généreux. Tous les sujets sont bons pour pontifier, toutes les grandes idées doivent être abordées et tout le reste mérite au moins une petite blague au passage. Mononc’ ne parle pas des osties de cônes orange qui sont partout à Montréal, mais il trouve quand même le moyen de chialer sur le maudit trafic qui fait qu’on arrive toujours en retard à ses rendez-vous.

Mais l’important, ce que mononc’ veut que tu retiennes de tout ça, c’est que l’argent mène le monde. Il n’y a pas moyen d’y échapper. Tout ce qu’on peut faire, c’est l’ignorer. Pis si tu l’ignores, quelqu’un va en profiter à ta place. Le gouvernement est là pour te fourrer, la police est là pour te pogner pis les gros gars avec des tattoos partout sont là pour te casser les bras si tu fais pas attention. Ça fait que prend l’argent pis sauve-toi, de préférence avec une escorte de luxe qui se prétend superficielle mais n’attend qu’un émule de Pierre Curzi disant « mademoiselle, je vais jouir » en se faisant branler dans un salon de massage pour découvrir qu’elle a, elle aussi, un cœur d’or. Il y a des choses qui ne changent pas chez mononc’ Denys, même si mononc’ Denys sait que le monde change.

Mononc’ Denys, par exemple, a entendu parler des enjeux liés à la diversité. Il sait que c’est important de représenter tout le monde dans son film. Alors il met en scène des Haïtiens avec des gris-gris qui volent des chars dans Rosemont en écoutant du gangsta rap, des chirurgiennes asiatiques qui soignent des blessures par balle dans des cliniques clandestines du Chinatown et des Autochtones sans-abri auxquels il voudrait pouvoir donner tout son change parce qu’ils font pitié. Ce ne sont pas des préjugés, en passant. C’est du réalisme. Mononc’ Denys, faut-il vraiment le rappeler, sait comment le vrai monde marche pour de vrai. C’est d’ailleurs pour ça qu’il est rendu un peu cynique, sur les bords.

Il se dégage bien un « portrait de société » de ce ramassis délirant de leçons données, de commentaires à l’emporte-pièce et de citations pompeuses. Mais ce n’est sans doute pas celui que croit Arcand. La chute de l’empire américain incarne tous les problèmes qu’il décrit, dressant par la force des choses le triste portrait d’un Québec perdu dans le monde où plus personne ne croit en rien mais croit par contre tout savoir. Après Le règne de la beauté, c’est Le règne des mononc’. C’est lourd, arrogant, paternaliste pis tout ce que tu veux. Ça te prend pour un cave, mais ça te prend ton argent pareil pis ça t’en donne pour chaque cenne de ton dollar. Mononc’ Denys, c’est pas un cheap. Tu vas rire, tu vas pleurer, tu vas soupirer… mais tu ne vas pas le regretter. Pis toute est d’la marde anyway, alors t’es aussi ben d’en profiter.


2 juillet 2018