La dignité des pauvres
Fernando Solanas
par Helen Faradji
Penser au réalisme social au cinéma renvoie presque instantanément à Frank Capra. Dans une certaine mesure aussi, à Robert Guédiguian. Faudra-t-il désormais également compter sur Fernando Solanas ?
On savait le réalisateur argentin Robin des Bois toujours prêt à mettre sa caméra au services des peuples plutôt que du pouvoir. On le savait dénonciateur, engagé, militant. Fondateur de Ciné Liberacion en 66, un groupe indépendant de production et de diffusion prônant la voie d’un 3ème cinéma, dans le cadre duquel il signait le pamphlet L’heure des brasiers et posait les fondations d’une uvre résolument résistante, tant documentaire (Le regard des autres) que de fiction (Le Sud, Le nuage), lui-même victime par balles de ses convictions, Solanas avait encore affiné la pertinence de son regard dans Mémoire d’un saccage en 2001, dénonciation lyrique et puissante des ravages causés à l’Argentine par ses différents gouvernements. Les mots y étaient forts, les images d’archives ou prises sur le vif saisissantes, le regard sans concession et la démonstration implacable.
Voilà, entre autres, pourquoi cette Dignité des pauvres, seconde partie de son binôme documentaire consacré aux bouleversements argentins, étonne. Car Solanas y perd quelque peu de sa rage revendicatrice, offrant plutôt de regarder la réaction de divers groupes et individus oeuvrant avec bien peu de moyens à la reconstruction sociale de son pays.
Construit autour de l’axiome pétri de belles intentions humanistes « si tous les hommes de bonne volonté voulaient bien se donner la main », le film a également la bonne idée de ne pas chercher à susciter la compassion mais l’admiration.
D’une main, on applaudit l’imparable sincérité de l’entreprise, comme l’ont d’ailleurs fait les membres du jury du festival de Venise 2005 en lui attribuant les prix du meilleur documentaire et des Droits de l’Homme. Qui pourrait en effet ne pas constater la profonde utilité du message citoyen de Solanas refusant tout cynisme ou sensationnalisme : les « pauvres » ne sont plus des victimes mais des êtres courageux et dignes sur qui la démocratie se doit de compter pour avancer. Mais quelque chose grince dans la belle logique de l’uvre.
Narrant d’une voix-off trop douce, déréalisant presque son propos et accumulant les effets de style lourds, Solanas propage en effet une sorte de naïveté sociale uni-dimensionnelle trop datée pour convaincre. D’autant qu’en creux du film se dessine également l’échec des mouvements sociaux à trouver une alternative viable au grand choc de la mondialisation. De quoi se poser la question : au cinéma, est-il plus facile de dénoncer que d’admirer ?
9 février 2007