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Critiques

La famille Wolberg

Axelle Ropert

par Philippe Gajan

Père d’une petite ville de province et maire d’une charmante famille (ou peut-être l’inverse), un peu feu follet un peu régent capricieux, un peu original, un peu conservateur, Simon Wolberg (magnifique François Damiens !) veille. Il veille sur sa famille, sur sa femme, sa fille, son père, sur sa ville, mais également sur un secret, une maladie sournoise qui viendrait soudain déranger ce doux ordonnancement chèrement acquis. Il est également l’âme, le ciment et du premier long métrage d’Axelle Ropert. Il est un magnifique personnage de cinéma. Axelle Ropert signe avec La Famille Wolberg une comédie dramatique anti-naturaliste à la fois tendre et espiègle, quatre ans après Étoile violette un moyen métrage très prometteur également présenté à la Quinzaine des réalisateurs et au FNC en 2005.

C’est frais, c’est léger, c’est singulier, c’est intelligent et cela a certainement le goût de nous surprendre. Ce que Miranda July fut à l’Amérique États-unienne et à l’art vidéo à l’époque de Me and You and Everyone I Know (2005), Axelle Ropert l’est aujourd’hui au cinéma français : quelque chose qu’on n’avait pas vu venir, la réalisatrice d’un objet filmique résolument contemporain et pourtant totalement hors de l’air du temps, notamment par la mise en place d’un décalage constant, totalement assumé voire revendiqué. Un peu Lubitsch en province revisité par la nouvelle vague par son côté mélo espiègle, très Rohmerien par la liberté de ton et l’air de ne pas y toucher (la cinéaste revendique d’ailleurs cet héritage dans l’entrevue qu’elle a bien voulu nous accorder), La Famille Wolberg fait du bien et pas seulement parce qu’il nous accroche une sorte d’énigmatique sourire au coin des lèvres pendant quelques heures.

Car au-delà de cette agréable surprise, il y a là un film solide, qui se pose des questions passionnantes et pas forcément, une nouvelle fois, « à la mode ». En commençant par sa réflexion sur la famille, très tendre finalement, qui semble à mille lieues du traitement « Famille, je vous hais » auquel un certain cinéma (français) nous avait habitué. Tout n’est pas rose au pays de Simon, mais la morale (certes élastique et pour le moins particulière) du bonhomme lui permet de revendiquer un véritable droit au bonheur, un bonheur bâti justement autour du noyau familial. Alors qu’importe que sa femme le trompe, que sa fille s’apprête à quitter le nid, que son père soit un vieil emmerdeur, que sa mère soit morte et que son beau-frère dérange par son côté bohème. Simon a prise sur le monde, un monde qu’il modèle plus souvent qu’à son tour à sa façon. Dès lors, on comprend mieux pourquoi il cache sa maladie. Sur cela, il n’a pas de prise… Pas plus finalement que sur le reste, bien sûr, mais là, il ne peut plus faire semblant, il ne peut lui casser la gueule comme il le fait avec l’ancien amant de sa femme. Alors, il la nie, il instaure le mensonge comme ultime protection face à l’unique chose qui pourrait faire du mal à sa famille et à ce fragile bonheur qu’il tient à bout de bras. Simon, d’une certaine manière, est beau jusque dans sa lâcheté.

Si le film d’Axelle Ropert est dès le départ espiègle, tout du moins ludique, souvent imprévisible, c’est pour mieux accueillir la belle et émouvante mélancolie qui vient s’installer à l’heure des adieux dans la dernière partie. Car si le récit est libre dans sa construction, original par les libertés qu’il prend avec le réel, ouvert par les possibles qu’il déploie, il n’en est pas moins rigoureux. Et il est certainement pertinent, car si le film se propose plus comme une exploration que comme un témoignage, il permet ainsi à son spectateur d’arpenter différents chemins, de baguenauder dans un univers à la lisière du réel. À ce compte-là, même s’il en est beaucoup plus éloigné qu’Étoile violette, La famille Wolberg a des airs de conte ou de fable. Car même s’il n’en épouse en aucun cas le rôle de donneur de leçon, il en a le ton et la dynamique.


Axelle Ropert à Montréal
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8 avril 2010