La fille du R.E.R
André Téchiné
par Helen Faradji
En regardant La fille du R.E.R., on imagine presque l’intitulé de l’examen : « exposer les conditions familiales, psychologiques et sociales qui ont permis l’avènement de l’affaire du R.E.R. puis analyser l’impact du fait-divers en termes de répercussions concrètes sur la société française ». Avec l’enthousiasme de l’élève studieux qui espère les félicitations du jury, André Téchiné remet sa copie en illustrant en deux chapitres très minutieux chacune des demandes.
L’affaire du R.E.R., c’est celle qui enflamma le paysage médiatique français en juillet 2004 en lorsqu’une jeune chômeuse prétendit avoir été victime d’une agression antisémite dans un train de banlieue avant de se rétracter deux jours plus tard. Dans un contexte où se multipliaient les provocations antijuives, les journaux s’emparèrent de son histoire pour en révéler toute la substantifique moelle sensationnaliste. Adapté de R.E.R.., la pièce de théâtre qu’en tira Jean-Marie Besset, La fille du R.E.R.. revient donc sur les faits en brodant autour du thème imposé avec application. La jeune fille s’appellera donc Jeanne, aura une aventure avec un jeune lutteur aux tendances délinquantes et vivra avec sa mère, Louise, une gardienne d’enfants, dont l’ami d’enfance, Samuel Bleistein, est avocat.
Si on le sent motivé par la même ambition que celle qui traversait son récit bouleversant des années Sida, Les témoins, soit observer des destins individuels pour les transformer en chronique sociale et universelle, le film reste pourtant bien en deçà de ce qu’il promettait. Peut-être parce que Téchiné ne semble oser aborder son sujet que du bout de l’illeton, par peur de déclencher d’autres vagues d’hystérie collective. Ou peut-être parce que le recul lui manquait encore. Ou peut-être encore parce qu’il s’est rendu compte en cours de travail qu’il n’y avait eu là qu’un simple dérapage collectif, sans réelle importance.
Car la dimension qui domine dans La fille du R.E.R. est bien celle de l’anecdote. Malgré une seconde partie (les fameuses conséquences) où le cinéaste semble sans cesse vouloir forcer la note de l’événement en le rendant plus grand que nature, le film reste concentré, pour ne pas dire obnubilé, sur ses personnages, et notamment celui de la jeune menteuse (expressive Émilie Dequenne). Sans jugement, ni c’est vrai complaisance, il les observe plutôt comme un taxidermiste scruterait les corps raidis de papillons en les classant consciencieusement par espèces : la fille névrosée en manque d’amour, la mère dépassée, l’avocat utopiste aux poches pleines, le père libertaire et insouciant, le jeune garçon juif pour qui la religion fait partie du processus de construction identitaire. Tous les ingrédients du précipité sont là. Mélangez et laissez agir. Le projet est quasiment scientifique : Téchiné n’est pas là pour représenter, mais pour interpréter, pour échafauder une construction intellectuelle, pour éclairer le monde. Comme c’est ambitieux! Comme c’est mécanique. Car à force de laisser la thèse soigneusement élaborée prendre d’assaut chaque séquence, à force de garder le cadre de son récit aussi obstinément clos, c’est aussi la force vitale de son film qui s’assèche. Sur un terreau si sec, rien d’étonnant alors que rien ne pousse. Pas la moindre transcendance, pas le moindre désir de hors-champ, pas la moindre pensée globale. La démonstration se referme sur elle-même. La théorie tombe à l’eau.
Mais c’est aussi dans sa mise en scène que Téchiné fait preuve d’un didactisme particulièrement agaçant. Plans heurtés, rythme chaotique, sur-détermination du mouvement par des ralentis ou une caméra à l’épaule comme des éclairs d’agitation qui viendraient perturber le calme avant la tempête : c’est tout un système esthétique qui souligne avec redondance ce qu’il y a à penser. Le cinéaste filme son héroïne avec fébrilité, nervosité même? C’est qu’elle est insaisissable. Il ne s’attarde qu’à peine sur des éléments essentiels du récit? C’est que tout n’est que mensonge et fabrication, de toutes façons. La photographie laissera chaque image comme nimbée d’une sorte de voile? C’est qu’il peut s’en cacher des choses, derrière les apparences. Chaque scène est ainsi songée, cérébrale, explicative, pesant de tout son poids sur le récit. Et c’est assez rapidement que le jupon du sociologue aux grandes théories se met à dépasser, cachant celui du cinéaste sensible et délicat que sait aussi être Téchiné. Dommage, car si sa Fille du R.E.R. ne manque certes pas de cohérence et de logique, c’est d’un véritable déficit de vie et de vérité dont il souffre. Pour un film sur le mensonge, c’est tout de même le comble.
17 septembre 2009