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Critiques

La nuit de San Lorenzo

Paolo et Vittorio Taviani

par Marcel Jean

Si La nuit de San Lorenzo est d’une telle justesse, c’est peut-être que les frères Paolo et Vittorio Taviani ont longtemps porté cette histoire en eux. Ils s’y inspirent en effet d’un épisode traumatisant de leur adolescence, lorsqu’ils suivirent leur père et une poignée de villageois dans la campagne de Toscane, en proie à une véritable guerre civile entre les partisans et les fascistes fidèles à Mussolini. Cet épisode est d’ailleurs le sujet du premier court métrage des cinéastes, le documentaire intitulé San Miniato, juillet 1944, dont il ne subsiste aujourd’hui aucune copie.

Plus de 25 ans après sa sortie au festival de Cannes 1982, alors qu’il recevait le Prix spécial du jury, La nuit de San Lorenzo demeure l’une des belles et grandes réussites de la carrière des frangins. Les cinéastes y apparaissent clairement pour ce qu’ils sont : de merveilleux conteurs, capables d’ouvrir au plus large le champ des émotions, capables de donner à un personnage sa pleine mesure en trois plans (et le film compte une cinquantaine de personnages). Transposant leur histoire personnelle en fiction, les Taviani remplacent San Miniato par San Martino et racontent les derniers jours de la guerre pour les habitants du village, alors que les Allemands exigent des villageois qu’ils se rassemblent à la cathédrale et que certains de ceux-ci, méfiants, choisissent plutôt de partir à la rencontre des Américains. Morts cruelles ou absurdes, petites et grandes frayeurs, rencontres avec les libérateurs ou avec les derniers pelotons de fascistes, les événements se succèdent dans ce récit épique, placé à la fois sous le signe d’Homère (cité dès les premières minutes du film), sous celui de l’opéra (ultime référence de la théâtralité propre aux cinéastes) et sous celui de l’enfance (l’Histoire est ici « corrigée » par les souvenirs d’une fillette).

Situation extrême, la guerre agit radicalement sur le corps social. Voisins et membres d’une même famille peuvent ainsi se trouver dans des camps opposés : d’un côté les fascistes, de l’autre les partisans, d’un côté ceux qui obéissent au pouvoir, de l’autre ceux qui choisissent leur destin. À l’inverse, elle peut aussi abolir les hiérarchies : voici qu’un paysan se trouve à la tête d’un groupe comprenant des notables, voici qu’un homme et une femme séparés il y a quarante ans par leurs origines sociales peuvent maintenant s’unir en paix.

Tournant le dos au naturalisme, exploitant avec doigté la licence que leur autorise le point de vue de la fillette et le recours à la tradition orale, les frères Taviani font de leur récit une épopée (d’où la référence homérique) où le merveilleux surgit au milieu du vrai pour célébrer le haut fait de la libération d’un village. Le résultat est parfois terrifiant, toujours touchant et d’une beauté lumineuse.

La nuit de San Lorenzo sera présenté à la Cinémathèque québécoise, dans le cadre d’une rétrospective consacrée à Paolo et Vittorio Taviani, le dimanche 25 mai, à 17h.


22 mai 2008