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Critiques

La Part des anges

Ken Loach

par Éric Fourlanty

Dans le merveilleux monde du whisky, la part des anges désigne le minime pourcentage du précieux liquide qui s’évapore pendant le vieillissement en fût.

Chez Ken Loach, les anges en question sont déchus, des délinquants à la petite semaine, ballotés depuis leur tendre enfance de famille d’accueil en foyer pour têtes brûlées, dommages collatéraux d’un libéralisme sauvage qui, depuis 30 ans, saigne les provinces britanniques et qui prend ses racines dans le thatchérisme honni par le cinéaste. Déchus peut-être, mais assez débrouillards pour mettre la main sur cette petite part qui leur échappe depuis toujours et qui changera le cours tout tracé de leurs vies.

Alors, comment parviendront-ils à forcer le destin, ces quelques jeunes de Glasgow laissés pour compte? D’abord en croisant le chemin d’un travailleur social qui les prend sous son aile, les appuie, les secoue et leur fait découvrir le monde du whisky. L’un d’eux, Robbie (Paul Brannigan), père d’un enfant depuis peu, se révèle être un nez hors du commun. Doté de son don olfactif, d’une intelligence vive et d’un charme fou, il mène la petite bande jusqu’à une distillerie où un baril de whisky hors de prix doit être mis aux enchères.

Toutes les étiquettes accolées depuis plus 40 ans aux films du réalisateur de Family Life, Raining Stones ou Sweet Sixteen sont ici valables. Humanisme? Présent. Humour noir? Oui. Démagogie? Un peu. Engagement social? Certainement, mais on se demande bien ce que le jury du Festival de Cannes 2012 a pu voir dans cette mise en scène correcte, mais sans plus, d’un scénario cousu de fil blanc, signé Paul Laverty, scénariste de dix longs métrages de Loach.

Dans la première demi-heure, on s’attend au pire, ensuite, ça s’étire pendant 45 minutes, puis un léger suspense s’installe et on sort de la salle un sourire aux lèvres. On comprend que, dans une Grande-Bretagne morose, l’optimisme soit de mise, mais il est ici si forcé qu’on frise le racolage. Ken Loach qui signe un feel good movie? Pourquoi pas, mais Looking for Eric était autrement plus original et plus rondement mené, plus drôle et plus émouvant que cet exercice de style convenu où Ken fait du Loach.

Il reste les acteurs, tous non professionnels, tous impeccables, en particulier Paul Brannigan, présence forte et véritable gueule de cinéma. Seul problème, et il est de taille : si vous n’êtes pas familier avec l’accent des bums de Glasgow, vous comprendrez l’histoire, mais vous perdrez la plupart des dialogues. Dommage qu’on n’ait pas cru bon de mettre la main sur la copie sous-titrée en anglais qui fut présentée à Cannes…

La bande-annonce de The Angel’s Share


19 juin 2013