La permission de minuit
Delphine Gleize
par Helen Faradji
D’un côté, il y a Romain, 13 ans, souffrant de xeroderma pigmentosum, ce qui l’empêche de profiter normalement du soleil comme tous les garçons de son âge. Un enfant de la lune, c’est comme ça qu’on l’appelle poétiquement. Un enfant condamné, c’est comme cela que l’on pourrait aussi le nommer. De l’autre, il y a David, 50 ans, professeur en dermatologie qui suit Romain depuis qu’il a 2 ans. Entre les deux, une relation unique et singulière, ni paternelle, ni amicale, ni tout à fait médicale non plus.
L’enfance et les relations atypiques : depuis son joli et surprenant Carnages en 2002, Delphine Gleize (L’homme qui rêvait d’un enfant) en a fait sa spécialité, parvenant à tisser avec la finesse d’une dentellière de touchants canevas autour de sujets immensément, totalement périlleux. Encore une fois, elle évite tous les écueils parlant de maladie et d’échange avec une délicatesse qu’elle partage avec quelques rares autres femmes cinéastes (Céline Sciamma, et son Tomboy par exemple). Peut-être est-ce d’ailleurs là, dans cette retenue, cette rigueur, ce refus de l’étalage, la réelle spécificité de ce nouveau cinéma féminin français qui gagne à presque tous les coups? À suivre
Éviter les écueils, donc. Et en premier lieu, celui de l’affect. Dans La permission de minuit, l’émotivité n’est en effet pas invitée à la table de ceux qui souffrent. C’est sur le terrain scientifique, le monde clinique et précis des relations patients-malades que Delphine Gleize place son film qui n’en ressort pas aseptisé pour autant. Médecin est David, médecin il restera, malgré cet attachement particulier pour Romain, malgré son départ imminent pour l’OMS qu’il est incapable de tout à fait accepter, malgré tous les sentiments qui volètent dans la pièce d’examen et qu’il refuse de laisser se poser. Car Vincent Lindon, qui trimballe de personnage en personnage une aura en chêne massif de plus en plus convaincante, de plus en plus puissante, apporte à cet homme une dimension bien rare dans le cinéma contemporain : la pudeur, comprenant qu’il n’y a pas de plus beaux personnages que ceux que l’on dessine avec toutes leurs aspérités, que ceux qui se cachent. À son image, les dialogues de ce beau petit film claquent et vont droit au but, sans coquetterie, sans prendre de gants (« On s’en branle de la pitié, Romain, et tu le sais très bien » assénera le médecin dans l’une des premières séquences). La peur, l’ennui, l’amertume : les choses sont nommées, parfois brutalement comme elles le seraient par un médecin qui en a vu d’autres, mais parce qu’elles existent, pas pour arracher facticement des larmes que le film entier se refuse à aller chercher par facilité.
Car c’est aussi, à notre grand bonheur, le misérabilisme que La permission de minuit refuse en bloc, grâce à ce personnage de Romain (étonnant Quentin Challal, pour la première fois au cinéma), buté, rebelle, impatient et colérique. Un Mowgli à la tignasse aussi emmêlée que les idées et sentiments, petit bloc de défiance qui ne sait trop quoi faire de cette encombrante maladie et de cet avenir en berne. Colonnes vertébrales d’un film qui se tient résolument droit, l’enfant et l’adulte, le malade et le docteur, le rebelle et le taiseux se répondent sans se parler dans un jeu de ping-pong mental aussi passionnant que mystérieux.
C’est que, outre la confiance intelligemment que place Gleize dans ses personnages qu’elle refuse de sur-déterminer, c’est aussi en sa mise en scène, et donc en nous, qu’elle place ses espoirs. Malgré une certaine maladresse dans son utilisation de la musique (C’est extra, de Ferré est ainsi utilisé non pas une, mais deux fois et de façon bien littérale, alors que Gleize réussit de si belles scènes nocturnes et silencieuses), c’est avec finesse et subtilité qu’elle dresse parallèles et fait résonner ses symboles. Un tombé de dominos échouant pour mieux signifier l’issue inéluctable de ce drame à échelle humaine (le xeroderma pigmentosum est incurable) d’abord, mais surtout, cette façon si simple, si belle d’enfermer par un cadre de plus en plus serré, presque claustrophobe, ses personnages lorsqu’ils se trouvent à l’intérieur, signifiant leur emprisonnement, mais aussi leur confort, leur sentiment de protection causé par cette bulle qu’ils se sont créée (David rejette ainsi avec virulence toute tentative d’intrusion, et notamment celle de sa remplaçante) et de laisser le regard errer dans d’immenses profondeurs de champ dès qu’ils sont dehors en soulignant que cet inconnu, cette ouverture qui fait peur et que l’on ne maîtrise est aussi cet ailleurs que David et Romain n’auront pas le choix d’arpenter pour grandir. Car, et c’est bien là le plus touchant, ce n’est ni en se tenant la main, ni en se rejetant, mais simplement en se gardant une place dans leurs vies respectives que ces deux êtres perdus et solitaires, bourrus et apeurés, apprendront à maîtriser l’inconnu. Et qui sait, à peut-être enfin faire la paix avec ce triste coup du sort qui les a frappés tous les deux.
La bande-annonce de La permission de minuit
9 août 2012