Critiques

La question humaine

Nicolas Klotz

par Marie-Claude Loiselle

La « question humaine », bien plus qu’au centre du propos du film de Nicolas Klotz qui porte ce nom, en pétrit la chair même. Aussi sombre soit ce film par ce qu’il met au jour des dérives technicistes du XXe siècle, de la Shoah à la gestion du personnel au sein des entreprises actuelles, il ne s’en tient pourtant pas à un constat d’impuissance. Sa force est justement d’être traversé non pas par un optimisme volontariste, mais, du moins et malgré tout, par un espoir, une foi en l’Homme. Ce que Klotz donne à voir, c’est comment, malgré toutes les stratégies imparables, la part humaine demeure toujours ultimement la plus forte; comment ses élans, ses débordements, ses défaillances ne peuvent jamais être véritablement endigués.

Ainsi, au-delà de la mécanique sans merci que le cinéaste met à nu, celle qui permet au capitalisme (comme à tout système hégémonique) d’imposer son diktat en soumettant même le langage à ses fins, subsiste une fraternité humaine qui, elle seule, peut sauver l’individu du dérèglement social vers lequel il est entraîné. Cette sensibilité, Klotz la prête aussi bien ici au chef d’entreprise « trop humain » pour le système où il évolue (Mathias Jüst, interprété par Michael Lonsdale, toujours aussi remarquable) qu’aux petites gens de la rue, ouvriers, chômeurs, immigrants clandestins, auxquels il a toujours donné une voix (voir notamment Paria ou La blessure). Une grandeur humaine, avec tout ce qu’elle comporte de complexité, admirablement bien servie par une mise en scène sans aucun artifice et pourtant constamment déroutante, inventive, qui est là pour soutenir une attention de tous les instants à chaque corps, mais surtout chaque visage : ces miroirs de l’âme.

La question humaine est incontestablement un grand film, comme nous en manquons cruellement sur nos écrans, qui nous happe et ne nous lâche plus. Il réussit le tour de force de plonger au cœur même de ce qui menace l’homme de la façon la plus terrible tout en se révélant une œuvre intensément vivante et vibrante par la façon qu’elle a de maintenir sans cesse le cap sur la part sensible de l’homme, celle qui lui permet de s’ouvrir à l’autre.

 


16 octobre 2007