La tête en friche
Jean Becker
par Eric Fourlanty
Tout le monde est pour la vertu et les films de Jean Becker en débordent. Dans La Tête en friche, Germain (Gérard Depardieu), un quinquagénaire illettré vivant encore sous la coupe d’une mère indigne (Claire Maurier), se lie d’amitié avec Margueritte, une vieille dame (Gisèle Casadesus) éprise de littérature qui, par l’entremise de Camus, de Gary et de Supervielle, le révèlera à lui-même en lui ouvrant des horizons jusque-là insoupçonnés. Que redire à ça? Tout le monde est pour la vertu ou peut-être pas mais c’est une autre histoire
L’idiot du village pas si bête que ça est bien entouré : une blonde qui a la moitié de son âge, aimante et maternelle (Sophie Guillemin), une patronne de bistro tout aussi maternelle (Maurane), et des copains qui le charrient (Patrick Bouchitey, Jean-François Stévenin). Tout ce petit monde vit quelque part en Charente, dans un de ces villages où la vie semble s’être arrêtée. Pour Jean Becker aussi, le cinéma aussi semble s’être arrêté avant la Nouvelle Vague. Impossible de ne pas y penser alors que Chabrol vient de mourir.
Le réalisateur de Que la bête meure n’aurait probablement jamais tourné cette histoire adaptée d’un roman de Marie-Sabine Roger et s’il l’avait fait, il aurait sûrement jouer avec la cruauté et le malaise de ce milieu provincial sclérosé. Mais Becker n’est pas Chabrol et ce n’est pas une tare. C’est un artisan capable du meilleur (L’Été meurtrier) comme du pire (Deux jours à tuer), toujours dans une veine classique que certains ont un peu trop vite aligné avec celle dans laquelle excellait son père, le grand cinéaste Jacques Becker (Casque d’or, Le Trou).
Jean Becker aime citer son père pour qui « une bonne mise en scène est une mise en scène qui ne se remarque pas ». Ici, sous des apparences de modestie et de simplicité, la mise en scène est pourtant d’une lourdeur confondante, répétitive et illustrative. Que voit-on lorsque Germain ferme les yeux pour mieux imaginer les hordes de rats mourants décrits par Camus, dans La Peste que lui lit la vieille dame? Des hordes de rats mourants, en noir et blanc (question de ne pas mélange rêverie et réalité). Que fait le cinéaste dès qu’un mot ou une situation trouve un écho dans l’enfance malmenée du héros? Il multiplie les flashbacks explicatifs. Rarement a-t-on vu un cinéaste d’expérience faire aussi peu confiance au jugement, à l’intelligence et la sensibilité du spectateur. Tout est souligné à gros traits, aucun mystère, aucune poésie. Seul le personnage de Margueritte échappe à ce rouleau compresseur, d’abord parce qu’on sait très peu de chose d’elle et parce que la grâce aérienne de Gisèle Casadesus lui donne la densité voulue.
Reste Depardieu. Un acteur est avant tout un corps et une voix et, même dans un film aussi faible que celui-ci, le grand Gérard incarne cette idée avec superbe. Ogre fort en gueule un instant, il se transforme sous nos yeux en petit garçon rondouillard et mal-aimé, sa voix est capable de tonner comme de bercer, et son regard semble avoir tout vu. Le rôle n’est pas de ceux qui sont couronnés mais c’est une véritable leçon de maître dans l’art du jeu. Dommage que le reste ne soit pas à la hauteur.
16 septembre 2010