La trilogie de l’île-aux-coudres en DVD
Pierre Perrault
par Helen Faradji
De son co-réalisateur Michel Brault, dans la revue Caméramages en 1980, Pierre Perrault disait: « Il s’est lancé dans la carrière comme dans une conquête. Non pas pour la récolte des fleurons glorieux du show-business mais pour défricher un silence séculaire, pour inventer des comportements, proposer une âme à une culture assiégée de toute part par les impérialismes culturels qui vendent de la pellicule et du papier sans se tenir responsables de l’avenir des rêves. Non pas pour être admiré par les hommes d’ici mais pour les admirer. Non pas pour enseigner mais pour apprendre. Ni pour être aimé mais pour aimer ».
Tous ces mots offerts, on aimerait les réécrire à l’endroit de Pierre Perrault tant ils correspondent également à l’éthique de ce cinéaste fondateur de l’âme cinématographique québécoise. Tous ces mots, on aimerait aussi qu’ils soient inscrits aux frontispices de chaque école de cinéma afin que tous les aspirants « capteurs de réel » se les impriment au creux du coeur.
Car Pierre Perrault, peut-être mieux que quiconque, a bel et bien su « proposer une âme à une culture ». Il faut voir ces habitants de l’Île-aux-Coudres se redécouvrir un désir ancestral de pêche sous son il attentif. Il faut les entendre délier leur verbe devant son micro aux aguets. Il faut voir leurs gestes retrouvés et précis devant cette caméra complice. Il faut les voir vivre. Mais surtout il faut voir Pour la suite du Monde où Perrault et Brault réinventent de la plus belle façon qui soit l’art de la maïeutique. Non comme un document ethnographique ou historicisant, mais pour ce qu’il est, une manifestation éblouissante de poésie de ce cinéma-vérité sans lequel le Québec n’aurait peut-être pas autant vécu à l’écran.
Mais il ne faudra pas s’arrêter là. Il faudra aussi se pencher sur les deux autres volets de la trilogie de l’Île-aux-Coudres que l’ONF a eu la bonne idée de rééditer en coffret DVD. Le règne du jour, d’abord, de 1968, où Marie et Alexis Tremblay, « héros » du premier volet, effectuent un voyage en France, dans le Perche, en compagnie de leur fils et de sa femme. D’allers-retours en France et au Québec, refusant de se laisser arrimer spatialement ou temporellement, la caméra de Perrault laisse alors la parole de ces êtres se délier parfaitement, comme pour nous faire toucher du doigt la puissance absolue de la fable. D’un coup, les oreilles, relayées par les yeux, deviennent les destinataires enchantées de ce voyage. Les voitures d’eau (1968) questionne, lui aussi, l’insondable question de l’identité québécoise en se penchant sur la disparition du métier de constructeur de goélettes (de caboteurs de bois) et en observant avec une tristesse non-feinte la déshumanisation de certaines pratiques.
Dans le livret accompagnant le coffret, le cinéaste livre ses réflexions sur cette citation de Léopold Tremblay : « Nous autres, icitte à l’Île-aux-Coudres, on a appris à vivre en vivant ». Les films de Pierre Perrault, eux, nous ont appris à regarder en regardant.
En suppléments dans le coffret : le court Le beau plaisir de 1968, 2 entretiens avec Perrault et un érudit et passionnant livret de 108 pages.
26 avril 2007