La vie des autres
Florian Henckel von Donnersmarck
par Helen Faradji
Voir un cinéaste se frotter à l’Histoire, c’est (presque) toujours beau. Parce que l’Histoire s’est souvent transformée en mythe et que le cinéma aime les mythes, ses oppositions simples et parfois binaires, ses capacités à nous faire avaler le pire. Certains cinéastes se vautrent alors dans ces mythes pour mieux en user les ficelles. D’autres s’y confrontent parce qu’ils aiment la bataille. D’autres encore préfèrent observer, de loin, comme s’ils voulaient nous montrer les grandes lignes d’un livre d’histoire.
Florian Henckel von Donnersmarck a 34 ans et vient de signer son premier film : La vie des autres, gagnant de multiples prix, dont l’oscar du meilleur film étranger. Le bon élève a gagné ses premiers bons points.
Car si le cinéaste s’inscrit dans un certain renouveau du cinéma allemand contemporain apprivoisant petit à petit son lourd passé en tâchant de mettre des images sur ses pesants fantômes (de Goodbye Lénine à Sophie Scholl, en passant par cette plus insignifiante Chute), il le fait avec un classicisme qui étonne pour un premier film, celui en principe -, où toutes les audaces sont encore permises.
Classicisme de la mise en scène d’abord : grandiose quand il le faut, maîtrisée, solide, précise, froide sans être impersonnelle, appliquant à la lettre les préceptes d’une sorte de « Tu seras réalisateur mon fils ». Oui, on est impressionnés. Mais celà n’empêche pas l’ennui de guetter, parfois, heureusement balayé par les interprétations de 3 acteurs d’une intensité sobre et juste, absolument remarquable (Martina Gedeck, Sebastian Koch et surtout l’impeccable Erich Mühe, déjà vu dans Funny Games d’Haneke, malheureusement décédé cette année)
Classicisme du regard aussi. Henckel von Donnersmarck, il faut le dire, ne s’attaquait pas au facile : la vie en Allemagne de l’Est en 1984, sous le joug d’un totalitarisme communiste auquel veillait scrupuleusement la Stasi, police politique du régime. Une petite histoire pour raconter la grande : une belle actrice, Christa-Maria Sieland vit avec un séduisant dramaturge, Dreymann. Un ministre rougeaud tombe amoureux d’elle et charge son meilleur policier, Wiesler, de placer l’appartement du couple sous écoute pour dénicher de quoi exercer un odieux chantage. Mais la mécanique déraille et notre bon Wiesler découvre tranquillement un monde fait d’amour, de musique et de discussions brillantes. Un monde dont il sent confusément l’attrait mais que son sens du devoir lui interdit d’embrasser.
Dilemme. Politique, moral, social. Henckel von Donnersmarck a pourtant le bon goût de ne pas nous faire le coup des Grandes Émotions, du pathos facile et grandiloquent. Grand bien lui en prend. Mais quelque chose bloque dans cette Vie des Autres. Quelque chose comme un cinéaste refusant obstinément de pénétrer son sujet. Comme si, par respect, il persistait à se tenir au seuil de l’Histoire. Comme si tout le film s’échignait à nous rappeler que nous sommes devant une uvre sérieuse parlant avec sérieux d’un sujet sérieux. D’où ce sentiment étrange que l’on assiste là, non pas à un film de cinéma (dont il avait néanmoins les qualités), mais à une grande uvre chargée de refaire un pays, de réconcilier des âmes. C’est lui mettre beaucoup sur les épaules. Le film ne s’en remet pas tout à fait.
30 août 2007