La villa
Robert Guédigiuan
par Robert Robert
Le nouveau film de Robert Guédigiuan semble vouloir sauter par-dessus les deux films précédents (Au fil d’Ariane (2014) et Une histoire de fou (2015)), pour retrouver le lyrisme et la sérénité des Neiges du Kilimanjaro (2011). Les visages nous sont bien connus, le cinéaste restant fidèle à sa troupe ; les lieux aussi, Marseille et sa douceur de vivre. Certains thèmes sont repris, d’autres apparaissent qui correspondent à l’âge du cinéaste, à son cheminement, à la maîtrise aussi d’un art du récit qui semble trop simple, alors qu’il se révèle d’une grande complexité, pour peu qu’on s’attarde à y regarder de plus près – dans la mesure où l’émotion que génère le film nous y autorise.
La villa est un film grave : le vieillissement, l’attente de la mort, le deuil, le désir qui s’essouffle, les idéaux qui s’estompent, tout y est convoqué dans un entrecroisement permanent. Mais La villa n’est pas un film lourd! Au contraire, l’art de Guédigiuan trouve une harmonie dans cette profusion de thèmes qui pourrait devenir lassante et déboucher sur la démonstration ; rien de semblable ici : par la grâce de sa mise en scène fluide, le film se déploie avec le même bonheur, les mêmes surprises aussi, que la vie, qui jamais n’est un long fleuve tranquille… Que le spectateur qu’un tel programme pourrait inquiéter soit rassuré! Guédiguian ne nous propose pas une leçon de morale ; c’est ailleurs que son attention est mobilisée : dans une attention minutieuse aux petits moments de la vie, aux gestes et aux pièges qui font toute la richesse, jamais épuisée, du quotidien. Ce film est un chant, une célébration. Et bien triste celui, ou celle, qui déciderait – au nom de quoi ? d’une certaine rigueur ? – de s’en priver. Et si certains accusent périodiquement Guédigiuan d’être passéiste, ils peuvent aujourd’hui remballer leur jugement : le cinéaste est bien notre contemporain, les pieds plantés sur le terrain des questions qui nous taraudent tous, quel que soit notre âge, ou notre ancrage.
Par ailleurs, comme le signalait très justement André Roy, au lendemain de la projection du film au festival de Toronto, La villa est « un film éminemment politique qui affirme qu’on peut aller au-delà de nos désenchantements, qu’il y a d’autres raisons de mobiliser sa conscience politique qui s’est affadie ». Héritier d’un certain humanisme communiste, Guédigiuan reste ouvert au monde, se refuse à toute forme d’amertume et se défend bien de toute nostalgie ; si les personnages de La Villa interpellent leur passé, c’est pour mieux comprendre leur présent, pour mieux le maîtriser. Ainsi en est-il d’ailleurs de la démarche même du cinéaste qui, évoquant la jeunesse de ses personnages dans un flash-back époustouflant, fait appel à des images tournées par lui-même en 1985, pour inscrire son récit dans le récit beaucoup plus large qu’il bâtit et nourrit depuis bientôt quarante ans et une vingtaine de films.
Politique aussi en ce que la définition de chaque personnage passe d’abord par son appartenance à un travail, à un métier, une information qui n’est évidemment pas accidentelle, surdéterminante même dans le cas de Joseph, personnage clé qui incarne tout à la fois la déconvenue (le désaveu?) d’un engagement désormais factice, mais aussi la possibilité d’un renouveau. L’aspect presque caricatural du personnage du jeune pêcheur, le bien nommé Benjamin, devient un peu le faire valoir de ce tableau de société. Et la belle Mercedes de Bérangère, la « trop jeune fiancée » de Joseph, apporte la coupure nécessaire entre ce monde rêvé, qui appartient désormais à un passé révolu, et un monde bien actuel qui suppose d’autres formes de lutte.
Mais il ne s’agit pas d’une enquête sociologique, ni d’une démonstration militante : La villa en est tout le contraire, une œuvre lyrique, qui émeut, fait souvent rire, met en scène (et sur scène) la vie, en dehors de tout naturalisme. Jamais l’art de Guédigiuan n’a été aussi harmonieux, dans son évidence même. Ce très beau film, dans lequel on entre sans effort, porté par la justesse de son écriture faussement simple, est tout le contraire des « feel good movies » dont, semaine après semaine, on célèbre le vide rassurant.
29 mars 2018