La visite de la fanfare
Eran Kolirin
par Gérard Grugeau
Depuis sa présentation à Cannes en 2007, La visite de la fanfare multiplie les prix à travers le monde (Louve d’Or au dernier Festival du Nouveau Cinéma de Montréal). C’est dire la propension consensuelle de son sujet (le film reste toutefois interdit en Egypte) et le pouvoir de conviction du traitement choisi par le cinéaste pour illustrer son propos. Prenant pour prétexte la tournée en sol israélien d’une fanfare égyptienne qui se trompe de destination et doit trouver ses marques en territoire inconnu, La visite de la fanfare est une fable intemporelle sur le rapprochement des «frères ennemis», Arabes et Israéliens.
Dans cette ode à la tolérance, nulle volonté de s’aventurer dans les marges sur un terrain ouvertement polémique comme l’ont fait les cinéastes Avi Mograbi dans Seul contre tous ou Simone Bitton dans Mur, pour ne citer que deux films percutants qui nous sont parvenus de cette partie du monde, ces dernières années. Avec ce premier opus lumineux peuplé de figures pittoresques et émaillé de situations humoristiques, Eran Kolirin privilégie plutôt la singularité des personnages et la force de résistance poétique du cinéma face au tragique de l’Histoire. Ample et généreux, son regard s’appuie sur la mémoire affective et la puissance fédératrice des racines culturelles communes que partagent les peuples de la région. Les anciens mélodrames égyptiens vus des deux côtés de la frontière n’ont-ils pas jadis marqué les esprits et fait vibrer les coeurs à l’unisson?
En adoptant le ton de la parabole à la fois grave et légère qui explore les méandres identitaires, La visite de la fanfare veut croire aux vertus de l’imaginaire en dessinant par touches sensibles un territoire de tous les possibles où l’infiniment grand (l’horizon d’une paix ardemment rêvée) et l’infiniment petit (le rappel d’une condition humaine universellement partagée) entrent en résonance pour tisser les liens fragiles d’une réconciliation fraternelle au-delà de tous les déterminismes historiques. Pour nourrir cette vision rassembleuse, Eran Kolirin puise avec subtilité aux sources d’un burlesque tendre et décalé sans atteindre cependant la charge subversive des films d’un Elia Suleiman (Chronique d’une disparition, Intervention divine), autre adepte des récits minimalistes guettés par l’absurde. Là réside sans doute les limites de La visite de la fanfare qui, malgré son humanité irrésistible, sa langueur toute orientale et son sens assuré du cadre, manque d’un supplément d’opacité et de mystère qui viendrait troubler en profondeur l’expérience du spectateur. Comme art de la singularité, le cinéma d’Eran Kolirin mérite néanmoins toute notre attention pour le lieu de méditation inestimable qu’il parvient à créer patiemment en marge du bruit et de la fureur, tout en ouvrant un espace de dialogue propice à la bienveillance du partage.
31 juillet 2008