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Critiques

Lady Bird

Greta Gerwig

par Ariel Esteban Cayer

On retrouve dans Lady Bird de Greta Gerwig tout ce qui faisait déjà l’intelligence et le charme du cinéma de l’actrice – mieux connue, jusqu’à maintenant pour ses nombreuses collaborations avec Noah Baumbach (Greenberg, Frances Ha et Mistress America) et Joe Swanberg (avec qui elle coécrit Hannah Takes the Stairs et coréalise Nights and Weekends). L’apport de Gerwig à ces filmographies est déjà énorme : sa présence à l’écran y est inoubliable et ses performances – situées quelque part entre l’improvisation crue et l’émotivité calculée –  sont rapidement devenues indissociables d’un certain cinéma indépendant des années 2000.

Au sein de cette génération d’acteurs et actrices que l’on pourrait aisément accuser de « jouer leur propre rôle » film après film, Gerwig se démarque par une candeur désinvolte qui, faute d’un autre terme, retient l’attention et fait toute la différence. Et c’est précisément cette authenticité qui donne sa force à Lady Bird : une première réalisation en solo dont les fortes tendances autobiographiques donnent au récit sa forme, comme sa profondeur. Inspirée de sa propre adolescence et de sa relation trouble avec sa mère, Gerwig signe ici un « coming-of-age » féminin, dans les plus parfaites règles de l’art – qui se distingue de surcroît par une mise-en-scène simple, mais élégante, et une caractérisation fine. Une attention particulièrement minutieuse est portée aux détails des lieux, de l’époque et du milieu, ce qui rappelle qu’à l’instar de plusieurs classiques du genre, comme Les 400 coups ou Dazed and Confused, les meilleurs récits d’apprentissage sont toujours dictés par une subjectivité forte.

Campé à Sacramento, en Californie, dans la foulée des événements du 11 septembre, Lady Bird raconte la dernière année de secondaire de Christine « Lady Bird » MacPherson (Saoirse Ronan), tandis que celle-ci s’initie aux arts dramatiques et vit ses premières expériences amoureuses. Les hits de l’heure appartiennent à Alanis Morissette, Justin Timberlake et le Dave Matthews Band, et une précarité de tous les instants  –une réelle crainte face au futur – semble flotter dans l’air (comme quoi peu de choses ont changé chez nos voisins du Sud). Le père de Christine vient de perdre son emploi ; sa mère essaie tant bien que mal de préserver les apparences (« Les parents de tes amis pourraient employer ton père », lui dit-elle) et Christine, quant à elle, tente de composer avec le blues de ses propres incertitudes – à commencer par des ambitions scolaires que sa famille ne peut se permettre.

S’il obéit aux règles du genre, le film de Gerwig s’impose également comme un portrait de la classe moyenne typiquement américaine, et quelque peu en marge du rêve. Parallèlement aux expériences de son alter ego en plein adolescence (et bien au-delà des simples péripéties qui caractérisent normalement le « coming-of-age »), la cinéaste tisse la chronique de l’éveil  d’une conscience sociale, et du rapport à soi et à l’autre. Si Lady Bird parvient à revivifier le genre, c’est en travaillant dans cet entre-deux particulier où l’adolescente se met en scène dans un contexte plus large ;  où elle compare l’affluence de ses parents à celle de ses amies ; où elle met sa culture à l’épreuve de celle des autres, et prend conscience, de sa place dans un monde plus vaste, dans lequelle elle ne fait que ses premiers pas.

Ainsi, la richesse (et l’humour considérable) du film découle de ces observations douces-amères qu’injecte Gerwig à son récit. Christine, par exemple, se vante d’habiter « du mauvais côté de la voie ferrée »… jusqu’à ce qu’elle constate à quel point cette blague heurte sa mère (pour qui l’apparence de stabilité économique est une fierté). Ailleurs, lorsque Lady Bird demande à son père s’il va divorcer de sa conjointe, celui-ci répond du tac au tac qu’ils ne pourraient se le permettre… avant d’éclater de rire. De même, c’est à force d’envier l’immense maison d’un de ses amis (et dont la famille est férocement républicaine), que la jeune femme causera l’un des quiproquos les plus gênants (et rigolos) du film.

À un autre moment, c’est un « It’s not all war ! » qu’elle rétorque à son copain insensible qui, obsédé par la guerre en Iraq et imbu de lui-même, refuse d’admettre l’avoir menée en bateau. « Don’t be so Republican » est d’ailleurs une insulte que lance McPherson. Entre autres scènes cocasses, cette remarque résume parfaitement la démarche de Gerwig, qui se montre parfaitement en phase avec l’époque représentée (2002-2003) tout en exploitant constamment cette riche tension entre les implications de l’âge adulte et la dérision de l’adolescence, au fil d’une mise-en-scène laissant toute sa place aux dialogues et au jeu des excellents comédiens.

Dans le genre, Lady Bird est un film exemplaire, car il s’inscrit au-delà de la bulle idyllique et immature de l’enfance. Gerwig écrit son film en assumant pleinement la perspective que seule la maturité peut offrir – un recul qui s’avère nécessaire pour extirper d’expériences vécues tout un lot d’observations fondamentales… et d’excellentes blagues. Puis, dans les derniers instants du film, Christine se remémore Sacramento, et par une simple balade en voiture, Gerwig nous laisse entrevoir une banlieue qu’elle a gardée en hors champ tout au long de son film. À cet instant, la subjectivité adolescente de Christine se combine à celle de sa mère…puis, par la bande, à celle de Gerwig, évoquant alors un lieu lumineux et fondateur dans la vie d’une jeune actrice qui voulait devenir dramaturge… et qui réalise ici un rêve devant nos yeux.

 


4 décembre 2017