L’affaire Coca-Cola
German Guttierez
par Helen Faradji
David contre Goliath. On ne s’en lasse pas. Le petit terrorisé par le grand mais qui valeureusement va prendre sa revanche. Des contes pour cour d’école aux récits pour grands enfants, le mythe a la peau dure. Peut-être parce qu’il redonne confiance, ou espoir, qu’il assure que les dés ne sont pas pipés dès le départ. Peut-être parce qu’il permet de voir le monde en noir et blanc et que ça repose un peu.
Coca-Cola contre les syndicalistes : a priori, la donne de départ est respectée. Le grand méchant loup cynique et avide de profits contre les gentils petits travailleurs exploités. On imagine déjà les manif. dans la rue, la fleur au fusil et le chant à la bouche. Les grèves convaincues, à l’ambiance vaguement bon enfant. Les tractations musclées pour quelques dignités de plus, volées à la sueur des fronts travaillants. Les petites victoires pour l’homme, grandes pour l’humanité. Sauf que nous sommes en Colombie, là où Coca-Cola a implanté ses usines d’embouteillement, et qu’avoir ce genre de problèmes, là-bas, ce serait déjà un triomphe. Non, en Colombie, on ne s’embarrasse pas de discussions, de négociations. Shoot, shoot, don’t talk. Comme dans un film de Scorsese. 470 syndicalistes assassinés depuis 2002, 4000 depuis 1986. Et seulement 5 procès pour élucider ces histoires. Tout cela sans parler des tortures, intimidations, emprisonnements, enlèvements et autres joyeusetés. La Colombie est un beau pays.
Véritables chevaliers blancs, deux avocats américains, David Kovalik et Terry Collingsworth en ont eu assez. En dénichant une loi de plus de 200 ans permettant aux victimes étrangères de crimes contre les droits humains de porter plainte aux Etats-Unis, ils montent patiemment leur cas contre Coca-Cola, apparemment un des leaders en matière de lutte costaude contre la syndicalisation dans ses usines. Ce sont eux, ainsi que l’activiste Ray Rogers responsable de la campagne Stop Killer Coke, que suit L’affaire Coca-Cola, nouveau documentaire-pamphlétaire signé German Gutiérrez et Carmen Garcia (Qui a tiré sur mon frère?). Ce sont eux, les David de notre histoire.
Suivant leurs conquêtes, leurs désillusions, leurs déceptions autant que leurs points gagnés, interrogeant de jeunes livreurs non-syndiqués pour bien faire comprendre l’importance des ces représentants des travailleurs (le passage le plus intéressant du documentaire), le film ne s’embarrasse pas de nuances : musique tonitruante, effets sonores sensationnels, ralentis, inscriptions à l’écran, tout l’arsenal du documentaire-choc est là, rutilant, prêt à enfoncer dans la gorge la vérité dans la gorge des amateurs de demi-teintes. Pas là pour éclairer, le film, mais pour dénoncer. Comme un thriller judiciaire américain. À tout prix et sans retenue. Comme ceux d’un certain Michael Moore aussi, l’humour en moins.
La fin justifie-t-elle les moyens? Peut-être. Assurément diront ceux qui souffrent. Mais ce serait oublier que ce sont justement ces combats, nobles et grands, qui, pierre par pierre, font un peu changer le monde, qui ont besoin des plate-formes les plus solides pour exister. Ce serait oublier que la vérité, dans ces cas, n’a pas besoin d’être martelée, mais soutenue. Ce n’est qu’ainsi qu’on transforme une diatribe en film nécessaire dont la marque s’inscrit dans les consciences. Et Dieu sait qu’on en a besoin.
25 février 2010