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Critiques

L’âge des ténèbres

Denys Arcand

par Helen Faradji

Autant le dire tout de suite L’âge des ténèbres n’est pas un bon film. Mais il n’est pas non plus si mauvais. Le tout s’amorce même comme une charmante farce baroque où Rufus Wainwright pousse la chansonnette d’un air d’opérette plutôt réjouissant. Et l’enfilade de rêves dans lequel se perd le héros, fonctionnaire tristounet, pour échapper à sa vie, n’est pas si moche. Alors quoi? Quel est donc le problème de cet Âge? Peut-être d’abord un long, interminable, passage médiéval qui ferait passer un épisode de Thierry la fronde pour un chef d’œuvre de profondeur. Peut-être ensuite la carence du film en bons mots que l’on cherche, que l’on traque même, en souvenir des grandes discussions acerbes et enlevées dont savait nous gâter Arcand. On soulignera tout de même deux bons coups : Michel Rivard en curé dégoulinant et ce passage, absurde et délicieux, où une commissaire à la langue française osera pas cette phrase hilarante de bêtise : « le mot nègre est interdit sur le territoire du Québec ».

Pour le reste, on devra se contenter de voir Arcand préférer le symbolisme pachydermique, la métaphore stabilotée vingt fois, le rêve téléphoné, la provocation facile à son sens de la verve. Fatigué, le cinéaste? Peut-être. Mais surtout, misanthrope. L’ironie du regard sur le genre humain qui dessinait les contours du Déclin s’est désormais transformée en aigreur. Arcand n’est plus mordant, ni même acerbe, il est amer.

À l’instar de la vie de son héros, Jean-Marc Leblanc (Marc Labrèche convaincant), tout a raté aux yeux d’Arcand. Le progrès, la société, le vivre ensemble et s’extraire de la civilisation pour garder un mince espoir semble être la seule issue. Le constat d’échec est désespéré et contamine même le film dont nous sentons bien qu’il ne nous fait pas assez confiance pour entièrement comprendre son propos.

Une misogynie d’un autre temps (les femmes sont ici arrivistes, superficielles, matérialistes, méchantes, objets de fantasme ou carrément nunuches), doublée d’un montage trop sec, d’un ton hésitant et se laissant vampiriser par la tragédie et d’un défilé de vedettes trop plaquées pour être honnête finissent de faire de L’âge des ténèbres un film d’une grande tristesse, pour ne pas dire d’une immense sinistrose. Les rêves de Jean-Marc finissent le bec de l’eau. Le cinéma d’Arcand par lequel nous aimions tant nous faire chatouiller aussi.

De là à dégainer les mots réactionnaire, film de vieux con ou de mononcle, rancœur stérile, bête, interminable, désolant, il n’y avait qu’un pas qu’ont franchi avec une rare allgéresse une meute de papiers au moment de la présentation du film d’abord à Cannes dont il fit la clôture, ensuite en France. Peut-on en faire abstraction? Non. La réaction, immense, catastrophiste, fait désormais partie du film qu’on le veuille ou non. Mais ce troisième volet de la trilogie de Denys Arcand, amorcée avec Le déclin de l’empire américain et Les invasions barbares, avec ses défauts, ses béquilles, ses hésitations, ne méritait pas une telle vindicte.


4 Décembre 2007