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Critiques

L’avocat de la terreur

Barbet Schroeder

par Juliette Ruer

C’est le film parfait en DVD. Vue la complexité du sujet, les temps de pause pour digérer l’information ne sont pas superflus.

Ce film est probablement l’un des meilleurs de 2007, tous genres confondus. Jacques Vergès, avocat français de 83 ans, pourrait être le reflet rebelle d’un siècle houleux. Barbet Shroeder qui dit aimer les monstres (Idi Amin Dada entre autres) a essayé d’en faire un portrait. Mission impossible? Dans le foisonnement d’entrevues et d’infos recoupées, se dégage un personnage d’une complexité peu commune. Un monstre. Et il fallait tout le talent de Shroeder pour rendre ce sujet clair.

Le réalisateur va laisser parler les autres, les juges, les journalistes, les terroristes. Il fait des allers-retours dans le temps, découpe les entrevues, il les saucissonne, les positionne. Tous appuient un fait, un geste, une attitude, une vérité sur Vergès. Et quand Vergès est à l’écran, en entrevue, trônant à son bureau; où l’on veut qu’il démêle le vrai du faux… monsieur tire sur son havane, avec un sourire de chat, ne répond pas ou lance une anecdote futile, comme un souvenir qui vient de surgir. Le maître est un prestidigitateur. Et cette apparente nonchalance est une irritation suprême pour le spectateur, parce qu’il n’explique rien justement, parce que tout le reste en contrepartie devient absolument incroyable. D’un côté, un mutisme serein et de l’autre, rien de moins que l’établissement du terrorisme international actuel ! Un bassin dans lequel Vergès semble avoir largement trempé.

C’est en tout cas ce que Barbet Shroeder laisse entrevoir; un homme qui s’est trouvé dans l’agenda personnel d’individus tels Pol Pot, Klaus Barbie, Carlos, Magdalena Kopp, Anis Naccache, Djamila Bouhired, et quelques solides dictateurs africains. Vergès voulait défendre Saddam Hussein, il a défendu Slobodan Milosevic. Et si Ben Laden sort de son terrier sous peu, il pourrait fort bien monter aux barricades.

Il fait feu de tout bois, il est insupportable et fascinant, jamais pris en défaut; retors comme le diable et pur comme un idéaliste qui faute par excès de conviction. Une constante pourrait être la base de ce caractère : Vergès déteste au plus profond de sa conscience toute forme de colonialisme… mais ceci n’explique pas tout. Et cela importe peu en fait, tellement ce documentaire malin est riche, tissant des connexions souterraines, mettant à jour des combats oubliés, et retraçant des ensembles de causes.  En anglais, on dit qu’on a The Big Picture. Ce documentaire est une proposition globale de la terreur en devenir.

 


21 février 2008