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Critiques

Le monde nous appartient

Stephan Streker

par Helen Faradji

Jeune espoir dans un petit club belge, Pouga joue au foot en attendant de pouvoir convaincre le monde de son talent. Son père, un secouriste accro au jeu, ne le regarde déjà plus que d’un œil. Julien, lui, n’a plus aucun contact avec son père depuis de nombreuses années. L’assistante sociale qui s’occupe de son cas en est plutôt contente, mais ne sait pas que la voie du crime, empruntée par le père, sera aussi empruntée en plus grand et plus violent par le fils.

Naturalisme à la belge, présence forcément évocatrice d’Olivier Gourmet, Vincent Rottiers en bleu de travail, une caméra à l’épaule collée à la nuque, des pères absents, des fils perdus… autant de signes qui, dans chacune de ces histoires parallèles qui construisent le deuxième long-métrage de Stephan Streker (Michael Blanco), entraînent avec malice le spectateur sur la fausse piste des Dardenne. Avec malice, car rien ne serait plus trompeur que de vouloir retrouver là les élans sacrificiels, le moralisme, la retenue rigoureuse des deux frères palmés. Au contraire, si piste il y a, Le monde nous appartient nous ramènerait bien plus facilement vers celle d’un certain cinéma français des années 80, hanté par la splendeur cinématographique du passé dont il tord et retord les figures principales, crispé autour de gestes de cinéma ultra-stylés et tape-à-l’œil pour mieux dire l’angoisse d’arriver après.

Car oui, comment ne pas penser au Leos Carax ou même au Jean-Jacques Beinex de ces années devant ces voitures parcourant la ville en accéléré, ces plans à l’envers qui se retournent sans aucune honte, ces effets clips accentués au néon bleu ou rouge, ces zoom in ultra-visibles ? Comment ne pas voir ces codes tant esthétiques que narratifs (la nuit, les désillusions, le flash-back, l’urbanité, la violence…) à la fois reproduits, mais aussi légèrement infléchis, par la bande ? Une sorte de second maniérisme, en somme, qu’incarnerait ce film étrange, polar dopé à l’existentialisme empêché, histoire d’amour sans cesse contrariée, à peine soutenue de beaux élans romanesques, mais qui n’aurait fait qu’enregistrer l’existence de la vague des années 80, sans réellement la remettre en cause ou vouloir la repenser. S’il va même jusqu’à épouser la grande thèse du maniérisme pictural, telle que défendue dans leurs peintures par les artistes de l’après-Renaissance en en faisant littéralement son sujet (comment, mais ô grand dieu, comment faire mieux que le père ?), Le monde nous appartient ne parvient pourtant jamais réellement à en illustrer les enjeux. Ni faire ressentir cette furieuse angoisse de l’après, ni convaincre d’une croyance presque infinie dans les pouvoirs d’expression du cinéma, ni estomaquer par la flamboyance virulente, les accès – et les excès – de style et de rythme.

Tendu, mais sans réelle résonance, manquant de cette capacité à étonner qui fait les moments de cinéma rares et singuliers, ne débordant jamais réellement assez pour asseoir son intensité, Le monde nous appartient tient sur quelques scènes, quelques détails, une musique, aussi (celle d’Ozark Henry), se déployant avec lyrisme et sens de l’épique dans les interstices d’un film un rien trop sage, ouvertement trop anachronique, pour son propre bien. Mais il tient aussi sur le regard bleu glacier d’un Vincent Rottiers à fleur de peau et le sourire suave d’un Reda Kateb en fantasme de gangster à l’ancienne qui, eux, font exactement les manières qu’il faut.

 

La bande-annonce de Le monde nous appartient


14 août 2014