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Critiques

Le père de mes enfants

Mia Hansen-Love

par Helen Faradji

Elles sont deux femmes. Deux critiques (les Inrockuptibles, les Cahiers du cinéma), réalisatrices (Étoile violette, Tout est pardonné), scénaristes, actrices (chez Bozon ou Assayas). Deux femmes abordant peu ou prou le même sujet (la disparition du père) avec une même tendresse retenue, réinventant du même coup (ou l’inventant, tout simplement) les contours de ce qu’on peut appeler un cinéma au féminin. Mais comme le soulignait Philippe Gajan, ayant eu l’intuition après son séjour cannois l’année passée, d’initier ce rapprochement entre les films d’Axelle Ropert, La famille Wolberg et celui de Mia Hansen-Love, Le père de mes enfants, où ils étaient tous les deux présentés (le premier à la Quinzaine, le second à Un certain Regard où il remportait une mention spéciale), si l’un se plaçait avec une sorte de malice mélancolique du côté de la fable, l’autre est résolument du côté du drame et du réalisme. Est-ce à dire qu’il serait plus lourd, plus empesé?

Pas une seule seconde. Car Mia Hansen-Love a cette incroyable faculté de savoir évoquer le destin le plus terrible, le plus noir sans s’appesantir. Une gravité légère, en somme. Ou une évanescence concrète si on préfère. C’est que, malgré la mort, malgré le désespoir, malgré l’étau qui se resserre, étouffant, Le père de mes enfants parle aussi, d’abord et avant tout, de passion. De celle d’un producteur, unique, singulier, aimant. Humbert Balsan, jamais nommé (dans le film, il porte le beau nom de Grégoire Canvel), mais reconnaissable entre mille. L’ancien assistant de Bresson qui entra en production comme on épouse une religion, prenant sous son aile protectrice les visions de Youssef Chahine, Sandrine Veysset, Elia Suleiman, Claire Denis…. Celui-là même qui avait manifesté le désir de produire le premier film d’Hansen-Love en 2004. Celui-là même qui s’enlevait la vie l’année suivante, en pleine production de L’homme de Londres de Bela Tarr, croulant sous les dettes et les menaces de poursuite. Celui-là même, enfin, qui aurait, qui a, tout sacrifié pour faire des films, pour aider certains auteurs élus à accoucher d’images qui n’avaient, à ses yeux, pas le droit de rester immatérielles.

Humbert/ Grégoire carburait au genre de passion qui consume, qui fait vivre et mourir avec violence et emportement. Un fuel qui fait parfois oublier le monde réel, les familles, les êtres vivants tant il submerge. Un moteur don quichottesque qui ne peut s’emballer, aussi, que pour une cause un peu perdue. C’est d’ailleurs toute la force du Père de mes enfants : avoir su non pas faire capitaliser (le vilain mot) son scénario et ses dédales émotifs autour de la figure fantôme de Balsan (pourtant interprété avec beaucoup de présence par Louis-do de Lencquesaing), mais d’en avoir fait pousser les ramifications autour d’une idée simple et belle : la survie du cinéma d’auteur. L’homme-producteur n’est pas que chair et sang, il est pellicule et chutes. Lumière et noirceur. Force et vulnérabilité. Il est ce cinéma-bouts de ficelle en lutte, toujours sur la brèche, au bord du précipice, toujours pressé aussi par une urgence à exister aussi fondamentale que vibrante. Il est cette idée artistique qui lui survivra coûte que coûte, défendue après sa mort par d’autres « contaminés » (sa femme, sa fille, ses amis…). Il est cette possibilité d’existence d’un cinéma libre et différent, proche de la vie et du cœoeur, fragile et indispensable. Ténue, la possibilité, peut-être. Mais bel et bien là. Cette idée autour de laquelle se construit le Père de mes enfants peut sembler simpliste, naïve. Elle est pourtant ce qui permet au film, étrangement optimiste, de toujours rester à l’exacte bonne distance, pudique et pourtant étonnement proche, de ne jamais galvauder sa sensibilité et de laisser alors fleurir une émotion pure, intègre, non trafiquée. Elle est ce qui fait du Père de mes enfants un film rare. Délicat. Un film précieux.


20 mai 2010