Le peuple invisible
Richard Desjardins
par Juliette Ruer
Pleins de questions se bousculent au visionnement du Peuple invisible, de Richard Desjardins et Robert Monderie (L’erreur Boréale). Comment se fait-il que je ne sache rien? Pourquoi y a-t-il si peu de films sur le sujet ? Pourquoi ne bougeons-nous pas ? Mais véritablement poser ces questions serait jouer à l’éberluée naïve, car, dans le fond, on sait. Même si on ne connaît pas sur le bout des doigts les détails historiques d’expropriation des Algonquins de leur territoire en Abitibi-Temiscamingue, on est au courant de la dégradation de leur niveau de vie. Et c’est là le plus troublant de ce film.
En partant du principe que toute la société et les gouvernements savent, l’ampleur du désastre s’étale. Et c’est dégoûtant. Comment peux-t-on être aussi bouché depuis 400 ans et continuer de l’être ? Voila le pourquoi de la colère qui teinte les propos de Richard Desjardins. Tourné en 3 ans dans sept des neuf communautés autochtones de l’Abitibi-Témiscamingue, le film fait état d’une situation que les Australiens essayent d’endiguer avec les aborigènes : rien de moins que le génocide à petit feu du peuple algonquin.
Un film classique au niveau visuel et un documentaire engagé qui, moins choc que L’erreur boréale, est tout de même fortement dérangeant. En parlant des problèmes de la forêt, Desjardins et Monderie avaient coincé des politiciens qui bafouillaient et c’étaient de la dynamite jubilatoire. Là, l’enjeu n’est plus l’épinette mais l’homme, et la ligne entre les bons et les méchants est plus floue. Si rien ne s’est réglé jusqu’à aujourd’hui, c’est que les torts sont partagés. Aussi bien chez papy et mamie qui trouvent que le « sauvage » a tout ce qu’il veut, que chez l’autochtone qui s’enlise dans un modèle de vie sociale qui n’en finit plus de dérailler.
Bien sûr, le partage des torts n’est pas équitable, les blancs tirent la couverture plus fort. Et ce film met en image tous les symptômes d’un racisme assumé. Dans l’imaginaire collectif, d’humains de seconde classe, les autochtones sont passés à profiteurs de première. Mais dans le costume de l’un ou de l’autre, on ne les voit pas. Invisibles, les premières nations n’ont pas voix au chapitre.
Et même si ce film est moins flamboyant que le précédent, la clarté des propos, la connaissance, le sourire baveux, la douceur qui tente de contenir la rage et la vraie tendresse de Desjardins font encore de l’effet. À ne pas prêcher qu’aux convertis.
22 novembre 2007