Les amitiés maléfiques
Emmanuel Bourdieu
par Gilles Marsolais
Prix de la Semaine de la critique au dernier Festival de Cannes, Les amitiés maléfiques ne laisse personne indifférent par sa façon de lever le voile sur les moeurs de la jeunesse universitaire française. Partant, le malaise qu’il peut susciter chez certains relève à n’en pas douter du principe de l’effet miroir. Prix Jean Vigo en 2001 pour Candidature, Emmanuel Bourdieu (fils du réputé sociologue décédé récemment), qui signe ici son deuxième long métrage, stigmatise la supercherie intellectuelle qui semble toujours sévir dans un milieu qu’il connaît bien, en suivant le parcours d’un tricheur, doublé d’un manipulateur envahissant. Celui-ci, en posant au gourou, prétend révéler à eux-mêmes ses compagnons d’études, tout en les vampirisant. Tout à la fin, on croit moins au personnage de ce roi déchu qui, démasqué, persiste et signe, après avoir choisi la fuite et sombré dans l’insignifiance. Mais ce film cruel et magnifique en impose par sa justesse de ton à décrire l’ambivalence des rapports entre les gens et par sa façon de tourner le dos radicalement aux Cousins de la Nouvelle Vague.
Ce n’est pas en jouant les François Truffaut ni en se réclamant ouvertement de Jean-Pierre Léaud au point de plagier son jeu comme le fait Louis Garrel dans le film Dans Paris de Christophe Honoré qui prétend lui aussi parler de l’air du temps, que l’on peut espérer susciter une authentique nouvelle Nouvelle Vague. Et il ne faut pas confondre cette erreur d’aiguillage avec Les amants réguliers de Philippe Garrel (Lion d’argent à Venise en 2005), le film somme du père, ovni d’une beauté fantomatique venue d’une autre époque révolue, où le fils Louis, magistral cette fois, incarne d’une façon fiévreuse la révolte de Mai 1968. C’est dans un tout autre registre, et avec une assurance déconcertante, que Les amitiés maléfiques d’Emmanuel Bourdieu suggère la genèse de ce nouveau courant espéré du cinéma français selon des modalités qui établissent une rupture avec ce passé mythique. Ce film sur le langage et sur l’acte d’écrire, qui déconstruit malicieusement la prétention et les mensonges fabriqués par le verbe et les mots, se distingue par les cadrages d’une caméra alerte qui épouse aussi bien les mouvements intérieurs que l’agitation extérieure des personnages, tout en se faisant oublier. Par un travail sur les amorces, à l’avant-plan, l’image exploite habilement la nature trouble des rapports tendus entre le gourou et ses disciples. Le spectateur n’est évidemment pas tenu de partager les valeurs de cette relation malsaine qui finit par trouver son exutoire, mais le film, lui, s’impose comme une fréquentation tout à fait recommandable.
8 mars 2007