Les aventures de Tintin
Steven Spielberg
par Damien Detcheberry
Sale temps pour la BD. Même les plus grands mathématiciens ne l’ont pas vu venir, mais il semblerait que l’anneau de Moebius ait une fin. Et c’est bien triste. Si le cinéma l’a éreinté plus d’une fois, Jean Giraud, alias Moebius, alias Gir, restera dans les mémoires comme un des meilleurs artisans de la fusion entre le cinéma et la bande dessinée : on lui doit entres mille autres choses les costumes et décors d’Alien (1979), de Tron (1982), l’inspiration visuelle de Blade Runner (1982), mais aussi des oeuvres plus discrètes et non moins belles, comme l’attachant film d’animation Les maîtres du temps (1982), adapté d’un roman de Stefan Wul, écrit par Moebius et Jean-Patrick Manchette, et réalisé par René Laloux - les mêmes René Laloux et Stefan Wul qui signèrent dix ans auparavant, avec Roland Topor cette fois, le magnifique La planète sauvage (1973).
Mais quel rapport avec Tintin, tonnerre de Brest ? Patience, j’y viens Plutôt que d’entrer dans un débat stérile qui opposerait, face aux nouvelles aventures de Tintin, les imbéciles qui aiment et les imbéciles qui n’aiment pas, laissons donc à Jean Giraud le soin de trancher la question, lui qui disait que « le cinéma dispose d’une quantité de stimuli sensoriels assez écrasante. La bande dessinée, elle, s’introduit d’une façon plus lente, plus douce, mais elle colle aux os. » Belle définition qui renvoie chaque médium à ses propres qualités. Et pour ce qui est de la force écrasante des stimuli sensoriels, difficile de trouver plus approprié en effet que Steven Spielberg, qui met en scène ici, trente ans après Les aventuriers de l’arche perdue (1981), les aventures du père spirituel d’Indiana Jones. Une façon de boucler la boucle en fanfare pour le cinéaste, ou de tourner en rond en faisant du bruit si l’on tient à être mauvaise langue. Il faut dire qu’un tel pari, celui de s’attaquer à un mythe gardé férocement par les tintinophiles de tous âges, tenait du périlleux exercice de funambule : qu’il respecte à la case près l’esprit des albums d’Hergé et on l’aurait accusé de fadaise, de manque d’originalité ; qu’il trahisse et ce sont les gardiens du Temple du Soleil qui lui seraient tombés dessus Abraracourcix. Ah, pardon, il s’agit d’une autre bande dessinée
Une fois de plus, Spielberg a fait de son mieux pour contenter tout le monde. En bon artisan qui connaît par cur les ficelles du métier, il a trahi, un peu, et respecté, beaucoup. En fusionnant trois albums - Le Secret de la Licorne, Le Trésor de Rackham le Rouge et Le Crabe aux pinces d’or – , il a réalisé, comme l’a souligné Bruno Podalydès dans un excellent article du journal Le Monde, « son » Tintin. Un Tintin tonitruant, techniquement parfait, mais parfois trop virevoltant pour être honnête, qui ne collera peut-être pas aux os de ceux qui ont mis entre 7 et 77 ans à s’imprégner des histoires du reporter belge, mais qui réjouira certainement les autres.
Au regard des dernières oeuvres du cinéaste (Indiana Jones et le royaume du crâne de cristal, Le cheval de guerre), ce récit sans temps mort, classique, mais de belle facture, est plutôt un soulagement. Au regard des récentes adaptations pachydermiques des aventures d’Astérix et Obélix, des lamentables tentatives francophones de donner vie à Lucky Luke, à Iznogoud, à Blueberry ou encore à Largo Winch, c’est même tout à l’honneur de Steven Spielberg de s’être emparé de Tintin sans avoir dénaturé l’esprit et la fantaisie d’Hergé, en ayant dosé avec soin humour et aventures. Le Tintin de Spielberg, sans faire de l’ombre aux bandes dessinées d’Hergé, s’affirme comme une authentique oeuvre de plaisir cinématographique, du vrai divertissement spectaculaire. Je dirais même plus Un spectacle divertissant.
La bande-annonce des Aventures de Tintin
15 mars 2012