Les dames en bleu
Claude Demers
par Juliette Ruer
On se fait avoir. Partir à la rencontre des fans d’un chanteur de charme longue durée, des grands-mères au coeur de midinettes; c’est certain qu’on va fondre. Parce qu’on adore ça, toujours, tout le temps. Parce que tout est là, en format plus facile qu’un magazine à potins; le grandiose et le pathétique, la drôlerie et la larme, l’amour infini et le temps qui passe. Même pas besoin de tourner les pages.
Le réalisateur Claude Demers (Barbiers, une histoire d’hommes) a déjà un sujet en or, les deux pôles du star système, la vedette et ses fans; mais en plus, il a un crooner hors du commun, Michel Louvain. Depuis 50 ans, ce dernier traverse toutes les modes avec un sourire éclatant, pas un plis au pantalon et une générosité envers ses fans qui, visiblement, ne date pas d’hier. Il est une star que l’on peut toucher, embrasser, à qui l’on peut offrir des cadeaux à Noel, donner bébé à garder et appeler « mon oncle Michel ». Mais il roule en décapotable et on ne sait rien de sa vie privée. Car c’est aussi une star, avec sa part de mystère. C’est ce qu’aiment également les dames en bleu. Claude Demers a choisi 5 femmes, de la quarantaine timide à la nonagénaire pétulante; les vraies reines du film. Ces femmes, on les observe, on les scrute, parce qu’on veut comprendre encore l’émotion forte, cette fascination enfantine qui n’en finit plus de s’éteindre. On ne se lasse pas de cela, de la part la plus irrationnelle de l’Humain qui s’expose avec candeur. Les groupies fascinent, car il semble que dans leur folie monomaniaque, elles ont trouvé un dérivatif au quotidien, un élixir de jeunesse.
Certaines vont expliquer leur idôlatrie, d’autres préféreront raconter leur vie et ne diront pas grand-chose de leur rapport à Michel Louvain. On comprendra malgré tout que le chanteur est l’homme idéal, le fils, le chum, le grand frère et tout à la fois. Elles chanteront une romance fanée et le faisant, elles auront le sourire aux lèvres La religion a un effet beaucoup moins dopant.
Outre l’idôlatrie, il y a la force des personnages. Il y a des femmes de caractère dans ce film, comme l’incroyable Margot, qui est un roman à elle seule et qui vole la vedette. Mais il y aussi les discrètes, celles que l’on dit oubliées. Or, cette majorité silencieuse est omniprésente au cinéma. Ces inconnus sont même les piliers de notre cinématographie, des hommes de la mer de l’Île-aux-Coudres jusqu’à Roger Toupin, des gars de Barbiers à ceux et celles de la Wapikoni. En les mettant bout à bout, comme l’a fait Luc Bourdon dans La mémoire des anges, on a la masse des individus invisibles. Le titre du film de Bernard Émond les résume tous, Ceux qui ont le pas légers meurent sans laisser de traces. Ici, l’une n’a pas eu de jeunesse, l’autre a eu un rêve de chanteuse qui s’est éteint; l’une joue au bingo, l’autre adore sa garde malade. Elles n’étaient pas « membres d’une génération oubliée », juste perdues dans la masse des inconnus.
Claude Demers ne tombe pas dans l’exposition larmoyante des vies simples. On ne s’englue pas dans le pathétique. Mais on n’est pas loin. La réalisation est honnête, sans briller de l’élégante retenue de Bernard Émond, ni de la simplicité directe de Benoit Pilon. On appuie les effets, on s’attarde sur l’émotif alors que nous avions compris. Point trop n’en faut, le phénomène de l’inaccessible étoile est plus délicat que l’on pense et méritait peut-être une plus grande finesse.
15 octobre 2009