Les ennemis du cinéma
Karl Parent
par Helen Faradji
Main basse sur les gènes. Clonage ou l’art de se faire doubler. Eau que je t’aime! Eau secours! Dix ans déjà. Karl Parent a, à n’en pas douter, le sens du titre qui punch. Normal. Le réalisateur a été formé de longues années à Radio-Canada où l’on vous apprend fort certainement à ne pas attraper des mouches avec du vinaigre. Un apprentissage dont les effets se ressentent encore dans Ennemis du cinéma : une histoire de la censure au Québec, son nouvel opus marqué lui aussi de ce sens extrêmement télévisuel de la concision et de l’efficacité.
Chapitré de façon très claire en petits blocs digestes, narré théâtralement avec une emphase didactique pour le moins agaçante par Louise Portal, multipliant extraits de films, montages d’entrevues et animations graphiques dynamiques, son documentaire s’avère un produit au formatage aussi pédagogique que ludique.
Retraçant l’évolution du contrôle de la production filmique au Québec de ses débuts à aujourd’hui, le film offre également un passionnant survol historique des liens plus ou moins serrés ayant existé entre la société civile et le cinéma. Des scènes jugées trop osées de films étrangers entièrement retournées à Montréal par l’équipe de J.A. De Sève aux manifestations citoyennes suite à la censure d’Hiroshima, mon amour ou au « scandale » I, A Woman, en passant par les seules 99 minutes (sur 185) du Rouge et le Noir d’Autant-Lara autorisées ou l’interdiction politique de plusieurs films de l’ONF (Cap d’espoir de Jacques Leduc, On est au coton de Denys Arcand et 24 heures ou plus de Gilles Groulx), Les ennemis du cinéma ne cache en effet rien des hauts et des bas du long combat pour l’affirmation d’une vraie liberté d’expression. Au travers de l’entreprise, dans le fourmillement de détails précis et l’analyse rigoureuse, on reconnaît la patte du grand spécialiste de la question, ici co-scénariste : Yves Lever, historien et critique, déjà auteur d’Anastasie, ou la censure au cinéma et co-auteur d’un Dictionnaire de la censure au Québec. Pas de doute, l’homme connaît son sujet.
Et c’est d’ailleurs là que Ennemis du cinéma finit par décevoir. Car si l’on sent constamment dans son propos l’érudition sous-jacente d’Yves Levers, celle-ci n’est pourtant jamais vraiment assez mise à profit. Trop court, effleurant certains de ses sujets qui appelaient des développements à n’en pas douter passionnants, ne jetant que quelques brindilles dans un feu qui aurait eu besoin de bien plus d’alimentation (voir cette phrase de l’ancien rédacteur en chef du Devoir, André Laurendeau, « Le but de l’oeuvre d’art n’est pas la morale, c’est la beauté », lâchée puis vite oubliée, ou cette question de Denys Arcand se demandant si les pratiques commerciales des distributeurs aujourd’hui, imposant une sorte de dictature du divertissement ne sont pas aussi dangereuses que les pratiques du passé, elle aussi tombant dans le vide), le film en tant qu’objet de réflexion sur un état de la liberté de création au Québec reste malheureusement superficiel. Dommage. À l’heure où les termes C-10, coupures budgétaires et autres expressions pleines de joie reviennent en haut de l’affiche, cette réflexion était bien loin d’être superflue.
27 novembre 2008