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Critiques

Les faux tatouages

Pascal Plante

par Ariel Esteban Cayer

Une automobile vrombit violemment dans la noirceur, puis laisse place au visage de Theo (Anthony Therrien) en route vers un concert, le soir de ses 18 ans. Il y rencontrera Mag (Rose-Marie Perreault) et ainsi commencera – à partir d’une remarque anodine sur ses faux tatouages et d’une boisson gazeuse partagée au comptoir d’un diner – une idylle d’adolescence qui nous fera momentanément oublier ces sons inquiétants en ouverture.

Avec son 2e long-métrage, Pascal Plante (La génération porn) fait à nouveau dans le portrait de génération et aborde ici le sujet inépuisable du « jeune » amour, du spleen qui accompagne parfois sa disparition, de même que l’importance de ces relations évanescentes et formatrices… Alors que la nuit se prolonge jusqu’au matin, que Theo apprend à connaître Mag et vice-versa, que les motifs de la séparation imminente (et d’une fin annoncée de la relation) deviennent de plus en plus clairs, Les faux tatouages étonne surtout par son naturalisme. Au-delà des codes connus du coming-of-age, le film est porté par une écriture candide et fine, qui dévoile au compte-gouttes le passé trouble du protagoniste, sans en faire l’enjeu principal du récit.

Sans tomber dans le mélodrame, ou bien l’autodérision qu’invite parfois le récit initiatique, Les faux tatouages se déploie plutôt sous le signe de la tranche de vie réaliste, principalement tranquille, voire même banale. Fort d’une attitude décomplexée face au sexe ou aux relations entre parents et ados, Plante se démarque par le regard sensible qu’il jette sur les émotions ponctuant le quotidien : les instants de malaise lors des premiers balbutiements d’une relation, de même que la douleur qui peut se cacher sous la surface, sous-tendre une interaction entre deux inconnus, figer un adolescent dans ses pas, ou retenir ses paroles au bord de ses lèvres. Anthony Therrien joue cette inhibition à merveille, tandis que Rose-Marie Perreault y va d’une candeur toute naturelle au fil d’une performance qu’on jurerait croquée sur le vif.

Autrement dit, quiconque ayant vécu une relation semblable se reconnaitra aisément, tant le cinéaste trouve le ton juste : cela va de la plus infime des expressions aux moments les plus anodins qui ramènent immédiatement le spectateur à ses années de secondaire ou de CEGEP. Qu’il s’agisse de la difficulté de détacher une brassière avec une seule main, des soirées passées au lit (avec les parents dans la pièce d’à côté, bien sûr) ou des balades à vélo, Les faux tatouages refuse dans toutes ces séquences le conflit comment élément conducteur. Il s’agit au contraire d’un film qui se plaît à prendre son temps, qui favorise le lien entre deux personnages et qui, par conséquent, traduit à merveille la sensation de flottement, tout aussi éphémère qu’effervescente, associée à cette époque particulière où l’identité se forge à grands coups de cœurs brisés.

Succession de (parfois très) long plans, la mise-en-scène subtilement ambitieuse bien que jamais tape-à-l’œil de Plante épouse le réalisme de son scénario. Favorisant la durée et la direction d’acteurs (on pense à Linklater et sa trilogie Before), la caméra nous plonge au cœur de la relation, dans une zone d’hyperémotivité – une sensibilité de tous les instants – qui s’amenuisera sans doute à l’âge adulte. Plante s’inspire, il est facile de spéculer, de sa propre adolescence, et c’est précisément cette authenticité qui traverse l’œuvre et la rend foudroyante. Au gré de ces expériences qui, sans qu’on le sache, nous marquent à jamais, ce récit de la transition nous immerge dans ses événements, puis, comme ses personnages, nous fait passer à autre chose (« Sèche tes pleurs », nous intime Daniel Bélanger, dans sa fameuse chanson qui devient un peu le thème du film). Cependant force est d’admettre qu’à l’image de la puissante, mais brève connexion partagée entre Theo et Mag, Les faux tatouages nous reste en tête longtemps, comme le souvenir doux-amer d’une époque où tout semblait possible.


16 février 2018