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Critiques

Les garçons et Guillaume, à table!

Guillaume Gallienne

par Eric Fourlanty

Guillaume est un jeune garçon qui croit être une petite fille. Adolescent, toute sa famille le croit homosexuel et, lorsqu’il tombe amoureux d’un camarade de classe, il le croit, lui aussi. Mais le garçon en question ne l’aime pas et l’amoureux éconduit cherche l’âme sœur. Il la trouvera sous les traits d’Amandine, qu’il épousera et avec qui il fondera une famille. Rideau.

C’est une façon de résumer ce surprenant premier film, mais ce n’est pas la seule.

« On ne parle bien que de ce qu’on connaît », dit-on. C’est à voir, mais il est sûr que Guillaume Gallienne connaît bien son sujet puisqu’il s’agit de lui-même, et de sa jeunesse qui lui a inspirée ce texte qu’il a joué au théâtre pendant trois ans et qu’il a adapté pour le cinéma.  On pourrait ergoter longtemps pour savoir si on se connaît jamais vraiment, mais là n’est pas la question. Quelle est-elle, d’ailleurs, cette foutue question, dans ce film qui est probablement l’un des plus nombrilistes – pour le meilleur et pour le pire, et dans le sens allenien du terme – de l’histoire du cinéma?

Être ou ne pas être un garçon.
Être ou ne pas être une fille.

Là est la question pour le petit Guillaume (Guillaume Gallienne) qui, pour ce que l’on en sait, est né de sexe masculin. Mais alor s pourquoi sa mère, grande bourgeoise névrosée (interprétée par un fabuleux Guillaume Gallienne), clame-t-elle entre les quatre murs de la grande demeure familiale où elle élève ses trois fils « Les garçons ET Guillaume, à table! »? Le film ne répond pas à la question et c’est l’une de ses plus grandes qualités. Ce premier film, écrit, réalisé et interprété par celui qui est entré à la Comédie-Française à 26 ans, n’est pas là pour répondre à des questions.

Il est là pour divertir, c’est certain, mais aussi pour poser un regard somme toute assez inédit sur l’identité et l’orientation sexuelles – à ne pas confondre. Un regard drôle, tendre, vache et très maîtrisé qui a séduit 2.5 millions de Français et récolté pas moins de cinq César, et non des moindres : film, premier film, acteur, adaptation et montage. Ce qui, avouons-le, n’est pas anodin dans un pays où, l’an dernier, des milliers de bien-pensants sont descendus dans la rue pour protester contre le mariage pour tous. Dans un pays où, tout comme aux Jutra et aux Oscar, les comédies n’ont presque jamais les faveurs de la profession. Faut-il voir, dans cet énorme succès public et critique, un retour de balancier d’une population et d’un milieu qui n’en est pas à une contradiction près? Pas sûr.

Ce succès tous azimuts peut paraître surprenant mais, à y regarder de plus près, pas tant que ça. Lorsqu’une unanimité telle que celle-ci se cristallise autour d’un film, elle en dit plus sur la société dans laquelle il a été fabriqué que sur sa valeur réelle. Ici, le sujet est a priori casse-gueule, mais sa facture et sa conclusion sont plus consensuelles qu’elles n’en ont l’air. Du côté de la forme, nous avons une comédie, certes, mais qui tient plus de Molière que de Dany Boon et, qui plus est, est signée par un sociétaire de la Comédie-Française. Amenez-en des César! Pour ce qui est du fond, si la prémisse – un personnage flou et antisocial – n’aurait pas déplu à Derek Jarman, la finale à l’autel du mariage rassure la cinquième république – chaque chose à sa place et une place pour chaque chose.

Reste le film. Tout nu. Le film de ce côté-ci de l’océan. Un film tout de même ovni parce qu’il transpose, avec un aplomb phénoménal pour un premier film, les codes du  théâtre au grand écran. Pour la petite histoire, l’auteur-réalisateur-interprète s’est pratiqué au petit écran dans de savoureuses vignettes télévisuelles, Les bonus de Guillaume, qui illustrent bien son don de la transformation.

Au grand écran, le génie de Gallienne, c’est d’avoir assumé à ce point la théâtralité de son propos dans son adaptation pour le cinéma. La façon dont il traite son récit et l’identité – sexuelle ou autre – relève des codes du théâtre, du masque et du costume, des codes sociaux et de la vérité de l’acteur, de l’artifice pour mieux se révéler et de la tradition élisabéthaine où les hommes jouaient les rôles de femmes. Mais il transpose ces codes de la scène à l’écran en les abordant de front, passant sans vergogne du théâtre filmé au (pseudo) réalisme du cinoche, abolissant le quatrième mur, qu’il pulvérise en s’adressant au spectateur comme seul Woody Allen (ou Robert Morin, mais on est très loin de Yes Sir! Madame!) a osé le faire.

En réalité, la raison profonde du succès de ce film roublard et incrouâyaaablement séduisant, c’est peut-être d’incarner l’essence même de l’esprit français qui, de Molière à Resnais, en passant par Renoir,  consiste à parler avec légèreté de sujets graves. Allez savoir!

 

La bande-annonce de Les garçons et Guillaume à table!


13 mars 2014