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Critiques

Les plages d’Agnès

Agnès Varda

par Helen Faradji

« Nous sommes gais, mais nous ne sommes pas dupes », Eugène Ionesco

80 balais. Des petits, des grands. En bois ou en plastique. De toutes les formes et de toutes les couleurs. Tous apportés par des amis dans la cour de la presque mythique rue Daguerre pour fêter comme il se doit les 80 ans de Mlle Agnès Varda. C’est sur cette scène d’une énergie irrésistible que se conclut Les plages d’Agnès, nouveau petit bijou d’inventivité et de charme de cette femme « rondouillette et bavarde » (c’est elle qui le dit) qui est aussi un des spécimens de cinéastes les plus rares et précieux du cinéma français.

L’âge est peut-être vénérable, mais l’énergie, elle, reste enfantine. Vivre sans s’amuser, sans créer, sans sautiller? Ca n’a pas de sens, pour Agnès Varda. Même quand les temps sont graves, quand les amis d’antan ne sont plus là que sur photos, quand Demy, l’amour de toujours, le mort le plus chéri de tous, manque infiniment. Même quand elle a de la peine, Varda sourit. De toute son âme. Comme une claque au temps qui passe. Comme un soufflet au désespoir. Dans ses yeux, c’est la vie qui s’enflamme, à 1000 à l’heure et qui nous entraîne dans une ode au bonheur sans nul autre pareil.

Alors pourquoi ces Plages d’Agnès? Pourquoi cette envie de revisiter son existence, des plages de Knokke-le-Zoutte en Belgique à celles de Santa Monica à Los Angeles en passant par celle de Sète où elle débuta son métier de réalisatrice avec La pointe courte en 1954 (« si on ouvrait les gens, on trouverait des paysages. Moi, si on m’ouvre, on trouvera des plages » résume-t-elle), de fouiller son passé quand le temps présent semble être le moteur si vibrant de ses jours? Parce que chez elle, la mémoire n’est source ni de remords, ni de regrets. Elle éclaire plutôt. Elle illumine, même. Elle n’est que prétexte à sans cesse réinventer, à sans cesse donner le droit à la rêverie. Elle se fait magasin général où chaque pièce, chaque élément, on le sent, a sa place. Comme un bric-à-brac de souvenirs, où se rencontrent Jim Morrison et Godard sans lunettes, des féministes et des cubains, des bouts de pellicule en noir et blanc, des trains miniatures et des sourires. La poésie est de chaque plan, l’entrain de chaque seconde. La leçon de simplicité et de fantaisie est admirable. Nombreux sont ceux à qui on conseillerait de s’y abreuver.

Comme un lutin malicieux et tendre, à pied ou en bateau, Varda nous sert de guide dans ce dédale de souvenirs, tout en se livrant à l’art qu’elle maîtrise de l’auto-portrait (rappelons-nous des Glaneurs et la glaneuse), collant de-ci de là archives et réflexions, photos d’hier et films d’aujourd’hui dans un collage d’une rare cohérence. Et de cette autobiographie farfelue et émouvante, généreuse et ludique, encore toute fraîche de son césar du meilleur documentaire, on sort comme d’une balade sur la plage. L’esprit plein, les idées aérées et le coeœur léger.


12 mars 2009