Les signes vitaux
Sophie Deraspe
par Juliette Ruer
Sur la réalité et son double cinéma, sur les jeux de miroirs entre les deux, et après l’excellent faux docu intitulé À la recherche de Victor Pellerin, la cinéaste Sophie Deraspe poursuit sa réflexion par une fiction troublante, Les signes vitaux. De cette réflexion sur l’image, mon collègue Marcel Jean en fait le point central de sa très juste analyse.
Ce film sort maintenant en DVD. Installé dans son chez-soi, dans un écrin plus intime qu’une salle de cinéma, il est clair que Les signes vitaux prend une dimension personnelle dérangeante, presque affolante. Le travail sur les ponts entre l’art cinéma et la reproduction du réel se défile alors derrière la force du sujet, qui prend toute la place, et qui nous pousse dans nos coussins, dans nos angoisses, dans nos peurs. Il y a d’abord le récit, un scénario solide et clair : une jeune femme devient bénévole dans un centre de soins palliatifs après le décès de sa grand-mère. Fortement impliquée, peut-être trop, elle lâche prise et s’éloigne de sa vie, de ses études et de son amoureux, pour se consacrer aux mourants. Ça pourrait virer mélo larmoyant certifié classique, vu des millions de fois. Mais le ton dépoussière le drame. Et sur le passage vers la mort la crainte parmi les craintes ce temps latent du juste avant, Deraspe propose un nouveau regard.
Avec un style personnel assuré, aussi serein qu’original, la cinéaste nous entraîne à la suite de Simone, l’héroïne prise au piège. Construit en vortex, ce film va nous coincer auprès de la jeune femme, dans le corridor de la mort. Le couloir du centre de soin pourrait être l’axe central, les chambres s’ouvrant les unes après les autres sur une antichambre de la mort, sur une façon d’aborder la mort. Hors de cet espace confiné, peu d’air. La vie extérieure fait de moins en moins de bruits, les sons s’étouffent sous la neige (le film se situe entre Halloween et Noël, entre une célébration morbide et une naissance), et la bande musicale, très à propos, fait état d’une situation qui n’a pas grand rapport à l’harmonie et qui s’apparente plus à l’organique, à la souffrance et au râle.
Or malgré cette bande sonore perturbante, malgré l’incursion de musiciens déjantés et de vues aériennes qui nous déplacent, l’approche est terriblement terrienne, sainement sensuelle et résolument portée vers tous les signes vitaux possibles. Il n’y a rien d’ésotérique dans l’affaire. Deraspe regarde avec une curiosité sage et éclairée cette étonnante situation qu’est la fin de vie; clairement consciente du bouleversement que cela occasionne, mais sans enfoncer les clous du désespoir. Tout cela est dessiné sans lourdeur aucune. En fait, le ton est d’une parfaite justesse, relayée par des acteurs inégaux, mais tous sur le même bateau. Cette cinéaste est à suivre, cela se confirme. En deux films, elle image avec intelligence et originalité des propos peu communs, et sait en plus, nous donner le relais de la réflexion. Chapeau.
NOTE : À l’inverse, le documentaire réalisé sur le tournage (qui est inclus dans le DVD), fait pâle figure et paraphrase avec ennui le sujet. Il est tout ce qu’il ne fallait pas dire.
17 juin 2010