Les toilettes du pape
Cesar Charlone
par Helen Faradji
Du cinéma uruguayen ou de l’Uruguay tout court, soyons honnêtes très peu d’échos parviennent jusqu’à nous. Aussi Les toilettes du Pape, qui fut présenté à Cannes en 2007 dans la section Un certain regard, constitue-t-il un très agréable météorite: tombé en terre de festivals et de blockbusters estivaux, ce petit film entendre sans vedettes ni grands moyens, tourné en partie avec des comédiens non professionnels non seulement mérite le détour mais représente peut-être la meilleure raison de se plier au rituel du grand écran cet été.
Nous sommes en 1988 à Melo, une petite ville très pauvre à la frontière de l’Uruguay et du Brésil, dont plusieurs des habitants survivent difficilement en pratiquant à vélo la contrebande de certains produits de base plus faciles à se procurer du côté brésilien. Aussi ces hommes, qui peinent des heures à travers champs et montagnes sur leurs minables montures pour une pitance famélique, voient-ils (tout comme les autres habitants de Melo) le passage annoncé dans leur patelin du Pape Jean-Paul II telle une mine d’or potentielle. La ville s’organise donc pour accueillir « les dizaines, voire les centaines de milliers » de pèlerins attendus et être en mesure de leur offrir la nourriture, les drapeaux, les médailles qu’ils ne manqueront pas de vouloir acheter à cette occasion Mais le petit contrebandier Beto croit avoir trouvé une meilleure idée pour s’enrichir : il construira chez lui des toilettes publiques à même de recevoir dignement contre rétribution les pieux touristes qui désirent se soulager.
Sous ses dehors anecdotiques de farce populaire grinçante, Les toilettes du Pape est en fait une brillante fable politique qui réussit mieux qu’un long exposé théorique à faire la démonstration des liens complexes qui se tissent dans une société donnée entre l’économie, la religion, le travail, la famille, et plus particulièrement à déconstruire avec rigueur et humour la manière dont la mécanique du rêve et de l’espoir (d’aucuns parleraient d’idéologie ) agit sur ces citoyens privés de tout – sauf peut-être des ressources de leur imagination comme le plus puissant narcotique. Heureusement, jamais la dimension « exemplaire » de l’histoire ne prend le pas sur ses qualités proprement humaines, ce qui confère à la fable une profondeur, une résonance et une vérité qui culminent, à la fin du film, dans l’exposé du statut tragique de l’existence sans que, pour autant, le ton en apparence désinvolte du récit ne soit abandonnée. Voilà bien une belle leçon de cinéma et d’économie politique, et d’humilité artistique – en cette maigre moisson cinéphilique de l’été.
17 juillet 2008