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Critiques

L’esprit des lieux

Catherine Martin

par Rachel Haller

Catherine Martin a de quoi se réjouir. Son deuxième long métrage de fiction, dans les villes, encore à l’affiche, voilà que L’esprit des lieux lui emboîte le pas avec le même succès (après un petit tour par la Berlinale dans les deux cas). Il s’agit cette fois d’un documentaire, mais la distinction, obsolète depuis longtemps, l’est encore davantage ici. Dans une oeœuvre comme dans l’autre bat le même pouls cinématographique (déjà présent dans Mariages et Océan) : une lenteur réflexive et contemplative pour laisser transparaître l’indicible. En l’occurrence, le passage du temps, inexorable, destructeur mais aussi garant de l’éternel recommencement.

Comment lui rendre meilleur hommage qu’en célébrant la mémoire, cette tentative de le saisir au nom du souvenir? Au propre comme au figuré, puisque Catherine Martin part sur les traces du photographe Gabor Szilasi et de ses clichés réalisés trente-cinq ans plus tôt à Charlevoix. D’ailleurs, L’esprit des lieux se joue du dialogue constant entre passé et présent, mémoire arrêtée (les photographies) et mémoire à construire (le film). Chaque chapitre s’ouvre sur un lieu, une scène en noir et blanc immortalisée par l’appareil de Szilasi. Lui répond la caméra de Catherine Martin placée au même endroit, miroir de la même matière granuleuse et immobile. Entre les deux s’installe le triste constat de l’exode rural et d’une prospérité révolue. Là où s’élevait le chahut d’une ribambelle d’enfants ne résonnent plus que les pas étouffés de quelques petits vieux. Là où une goélette faisait la fierté d’une famille ne gît plus qu’une épave. Là où se rassemblaient les croyants ne se dresse plus qu’une modeste croix.

Mais la juxtaposition initiale sert aussi de point de départ à l’exploration du hors champ, les paysages et les gens qui résistent vaillamment. Un boulanger qui répète les mêmes gestes depuis trente ans. Une vieille femme qui préserve les reliques d’une chapelle improvisée. Un homme qui enseigne à son fils le travail de la terre.  Et surtout, ces champs, ces collines, ce fleuve, témoins d’une beauté encore intacte à la désaffection des villes.

Entre les images perdues et retrouvées affleure peu à peu l’âme de la région, du pays. Un pays d’arbres et d’eau, construit par des bras forts et pieux. De réflexion sur le passage du temps, L’esprit des lieux devient aussi porte-parole d’une identité. Sans doute menacée, mais aussi sauvegardée par quelques fidèles blottis dans l’immensité. Et c’est à eux que Catherine Martin rend son plus bel hommage.

 


19 mars 2007