Libero
Kim Rossi Stuart
par Rachel Haller
Le jeu et la réalisation n’ont jamais été des activités cloisonnées. Mais ces derniers temps, l’interchangeabilité tend au passage obligé. Valeria Bruni Tedeschi, Jean-Pierre Daroussin, Eric Caravaca, Guillaume Canet On ne compte plus les acteurs, surtout du côté de l’Hexagone, qui se font les griffes derrière la caméra. Et se les cassent parfois. Kim Rossi Stuart, lui, les a gardées intactes. Son baptême du feu, Anche libero va bene (Libero), est même un joyau de finesse et de sensibilité. En écho d’ailleurs à sa carrière d’acteur peu prolixe mais toujours subtil (Par-delà les nuages, Senza pelle ou plus récemment Romanzo criminale).
Caméra au poing, Kim Rossi Stuart suit le quotidien d’une famille en crise. Le père (lui-même) est un homme dur, colérique et frustré. Frustré de ne pouvoir s’imposer en tant que caméraman. Frustré aussi et surtout de ne savoir retenir sa femme (Barbora Bobulova) si belle et si volage. Cette dernière disparaît et réapparaît au gré de ses rencontres. Les enfants, Tommi et sa grande sur Viola, paient les pots cassés. De fait, surtout Tommi qui, du haut de ses onze ans, comprend tout mais ne dit mot. Avant les autres, il saura que le retour de la mère prodigue ne durera qu’un temps. Il saura aussi que si son père crie sa colère, c’est pour ne pas pleurer sa souffrance. Lourde responsabilité, difficile lucidité quand on a encore besoin d’être tenu par la main.
Enfant en déséquilibre sur la corde du monde des adultes, Tommi veut surmonter sa peur du vide. Il s’y emploie sur le toit de son immeuble, dans les eaux d’une piscine qu’il abhorre. A l’école, il tente d’oublier l’abîme. Timidement. Mais c’est l’élève muet et le petit voisin trop vite grandi qui répondront le mieux à ses avances. Impossible échappatoire.
Adulte par obligation, il sacrifie son enfance à la vie. Une vie qui s’oppose au rêve de liberté. De s’exprimer à sa guise pour le père. De suivre ses pulsions pour la mère. Eux aussi se débattent comme ils peuvent. Parfois mieux, parfois moins bien. Il n’est jamais question de les juger, mais seulement de les montrer dans leurs moments de gloire et d’échec. Emporté et violent, le père est aussi un homme responsable et aimant. Instable et imprévisible, la mère est aussi un puits de douceur et de tendresse. Ni monstres, ni héros, ni victimes, ni bourreaux, mais simplement humains comme l’est le regard du réalisateur posé par petites touches toujours nuancées.
Brèves, les scènes se suivent sans ambage et sans artifice. Peu de décor, peu d’éclairage, peu de rebondissement. La caméra découpe crûment le quotidien. Elle colle aussi aux visages, aux regards. Celui si sensible et avisé de Tommy (extraordinaire Alessandro Morasso), celui si tourmenté du père (Kim Rossi Stuart excelle encore une fois). Le tableau est en morceaux, mais chaque pièce joue du noir et du blanc. Magnifique!
19 juillet 2007