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Critiques

Logan Lucky

Steven Soderbergh

par Ariel Esteban Cayer

De l’escorte de luxe (The Girlfriend Experience) à l’effeuilleur masculin (Magic Mike), en passant par les aléas du mercenaire (Haywire), de l’exécutif en pharmaceutique (Side Effects), du fonctionnaire de l’agroalimentaire (The Informant !) comme de l’agent de l’Organisation mondiale de la santé (Contagion)… la dernière décennie du cinéma de Soderbergh regorge de travailleurs en tous genres. Des personnages en alternance aliénés ou dépossédés par leur emploi, dont le destin est inévitablement lié au capital qui circule dans un milieu donné.

Écrit par la mystérieuse et pseudonymique Rebecca Blunt, Logan Lucky est, à s’y méprendre, une simple redite opportune de la formule Ocean’s, transposée à de nouvelles stars charismatiques. Sous la surface, ce film poursuit cependant le cycle entamé en 2008. Depuis lors, Soderbergh accumule les exercices de genre et dresse à travers son œuvre un portrait cumulatif de l’Amérique et des gens qui y travaillent – dans le sillage d’une crise, par exemple, ou au sein de structures plus larges dont il faut sans cesse déjouer les rouages.

Avec Logan Lucky, le cinéaste déplace son projet à la frontière de la Virginie et de la Caroline du Nord – deux États « rouges », visiblement touchés par l’austérité économique générale. Dans le monde de Logan, les emplois sont instables. L’absence d’assurance maladie fait partie intégrante du décor. Les prisons sont mal gérées et les patrouilles routières sont sous-financées. Ainsi va la vie. Autant de réalités qui seront naturellement exploitées par nos truands au cœur d’or, mais qui témoignent surtout, dans leur traitement, de cette attention particulière que porte Soderbergh aux lieux et aux conditions sociales qui sous-tendent ses récits. (Une stratégie qui n’est pas sans rappeler une certaine fixation sur la bureaucratie, ou le traitement évocateur, faussement ensoleillé, de la Floride de la récession dans Magic Mike).

La prémisse est invraisemblable, mais ici comme ailleurs, c’est ce mélange de réalisme social et de genre fantaisiste qui permet toutes les excentricités et toutes les modulations de tons. Lorsque Jimmy Logan (Channing Tatum) perd son emploi sur le chantier du Charlotte Motor Speedway, celui-ci concocte un plan infaillible pour dévaliser les lieux, une obscène « petite ville » érigée pour accueillir les courses de NASCAR. Son frère Clyde (Adam Driver), un vétéran ayant perdu un bras en Iraq, et sa sœur Mellie (Riley Keough), coiffeuse et conductrice de talent, se joignent à lui et ensemble, ils solliciteront l’aide de Joe Bang (Daniel Craig), un spécialiste en démolition de coffre-fort…qu’ils devront sortir de prison, puis ramener derrière les barreaux!

Plus conventionnel qu’un Side Effects, ou même un Contagion, Logan Lucky se dévoile néanmoins comme un joyau de montage propulsif ; un engin parfaitement huilé conduit avec une assurance foudroyante. « They’re gonna know what we need ‘em to know », révèle Jimmy en fin de parcours. Il s’agit là d’une réplique qui pourrait bien être la devise de Soderbergh tant celui-ci prend ici un malin plaisir à réduire sa mise en scène au strict minimum ; à ne dévoiler que l’essentiel, tout en justifiant toute invraisemblance par une habile juxtaposition ou explication. La beauté de la chose relève de cette mécanique : d’une économie de langage qui garde le spectateur sur le qui-vive et qui communique le même type d’efficacité absolue dont auront finalement fait preuve les Logans tout au long de leur plan rocambolesque.

Soderbergh, comme ses personnages, se définit par ses actions. Depuis longtemps ambivalent vis-à-vis de l’industrie au sein de laquelle il travaille, le cinéaste trouve dans Logan Lucky un projet à la hauteur de ses ambitions : un modèle perfectionné du film à moyen budget, sans autre prétention que de livrer la marchandise, tout en restant intègre. Du fonctionnaire frustré de Schizopolis (parfait analogue du cinéaste) aux voleurs hollywoodiens, fantasmés, qu’incarnaient George Clooney ou Brad Pitt dans Ocean’s, Logan Lucky est la consécration du héros ordinaire que Soderbergh développe depuis 2008 ; un parfait Robin des bois moderne qui nous démontre, sans l’ombre d’un doute, avoir encore plusieurs tours d’avance dans la compétition.

 

 

Etats-Unis 2017. Ré.: Steven Soderbergh. Scé.: Jules Asner. Ph. et mont.: Steven Soderbergh. Mus.: David Holmes. Int.: Channing Tatum, Adam Driver, Seth MacFarlane, Daniel Craig, Riley Keough, Katie Holmes. 119 min. Dist.: Les Films Séville.


21 août 2017