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Critiques

Lola Montès

Max Ophüls

par Bruno Dequen

La sortie de Lola Montès en 1955 devait couronner la carrière d’un des esthètes les plus influents du 7ème art. Max Ophüls, né Maximillian Oppenheimer en Allemagne, est en effet à l’apogée de sa troisième carrière lorsque ce film maudit fait scandale. Après s’être fait un nom en Allemagne jusqu’en 1933, il fit un court séjour en France, avant de partir pour les Etats-Unis où, malgré les difficultés, il réalisera au moins un grand film, Letter from an Unknown Woman. De retour en France après la guerre, il enchaînera les films marquants à partir de 1950 : La Ronde (1950), Le Plaisir (1952), Madame de… (1953).

Suite à son licenciement du projet Mam’zelle Nitouche sous la pression d’un Fernandel qui ne voulait rien savoir de ce réalisateur à la réputation d’exigence extrême, Ophüls se rabat sur une superproduction portant sur la vie scandaleuse de Lola Montès, une danseuse et courtisane d’origine irlandaise du XIXème siècle, principalement réputée pour sa longue liste d’amants, dont le plus célèbre demeure le monarque Louis Ier de Bavière, qui fut contraint d’abandonner le trône à la suite d’une révolte populaire générée par sa liaison avec Lola.

Dès le début, le cinéaste, qui avait pourtant dans ce sujet de courtisane au fort caractère un projet taillé sur mesure pour son talent, se retrouve confronté à d’innombrables problèmes de production. Le film est en effet financé en grande partie par des hommes d’affaires allemands sans réelle expérience mais à l’ambition commerciale sans limite. Voulant concurrencer les productions hollywoodiennes, les producteurs décident de tourner le film en couleur et en cinémascope, au grand dam d’Ophüls, qui considérait ces nouveautés techniques comme des soucis inutiles. Sans parler du choix imposé de Martine Carol, actrice de films romantiques très populaires à l’époque, qu’Ophüls trouvait sans talent.

Bien entendu, le cinéaste finira par tourner tous ces problèmes en sa faveur. D’abord réticent, il utilisera finalement toutes les possibilités de mise en scène et de mouvements de caméra que le cinémascope lui offre. Il obligera son directeur photo à faire preuve de triomphes de débrouillardise afin de reproduire les couleurs chatoyantes et changeantes du cirque. Et que dire de Carol, dont Ophüls utilisera l’absence de talent et le jeu imprécis pour faire ressortir l’essence de Lola qui, malgré tous ses défauts, fut une formidable force de la nature. Piètre danseuse, courtisane maladroite, Lola est néanmoins un objet de désir sans pareil puisqu’elle possède une force de caractère surprenante et représente la liberté absolue. Une liberté qui ne peut que se terminer dans la solitude et l’incompréhension de tous. Tout comme Ophüls qui, à la suite de l’échec de son film, connaîtra des ennuis de santé qui conduiront rapidement à sa mort en 1957, alors même que son film était atrocement remonté par les producteurs.

Mais la fin n’est pas tragique. En 1955, Ophüls réalisa une œuvre grandiose jetant un regard plein d’admiration et de compassion sur une femme dont la réputation était désastreuse. En 2008, après des années d’effort, la version originale de Lola Montès fut enfin présentée au Festival de Cannes, en présence de Marcel Ophüls, et le public put regarder avec émerveillement le dernier film superbe d’un cinéaste majeur trop souvent oublié.

 


16 septembre 2010