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Critiques

Lost, saison 5

J.J. Abrams

par Bruno Dequen

Alors que la sixième et dernière saison de Lost est sur le point d’être diffusée, les amateurs peuvent profiter de la sortie de la cinquième saison de la série en DVD pour revoir quelques épisodes, déceler de nouveaux indices et approfondir leurs théories. Jacob et l’homme mystérieux sont-ils des dieux? Locke est-il vraiment mort cette fois? Comment Sun et Jin pourront-ils se retrouver, alors qu’il vient de vivre trois ans dans les années 1970 et assister à une explosion électro-magnétique et qu’elle vient de se faire mener en bateau par le faux Locke dans les années 2000? Ces questions, et des centaines d’autres, alimentent depuis des mois les forums, sites et blogues de la planète. Comment expliquer un tel phénomène?

Bien entendu, la première saison de Lost en 2004 fut un événement télévisuel marquant. Propulsée par un épisode pilote exceptionnel, la série, fruit de l’imagination de J.J. Abrams, qui a depuis gâché son talent au cinéma, se présentait comme une sorte de version de groupe du Cast Away de Robert Zemeckis assaisonnée d’X-Files, et semblait pouvoir réaliser l’exploit d’être à la fois une série grand public et une série culte. Les moyens de production, la complexité de la structure narrative en flashbacks et le nombre imposant de personnages principaux étaient en effet à mille lieux de la simplicité des productions moyennes, d’autant plus que la série était diffusée sur une chaine généraliste. Pendant 24 épisodes, des millions de téléspectateurs suivirent avec ferveur les aventures de 14 des rescapés d’un écrasement aérien sur une île étrange et probablement moins déserte qu’elle ne le semblait.

Mais c’est véritablement à partir de la deuxième saison que la série prend son envol. Les personnages sont plus dispersés que jamais, un grand nombre d’entre eux meurt, le mystère entourant l’île et ses habitants s’épaissit à mesure que de rares informations sont dévoilées et chaque épisode regorge de détails intrigants. Sur l’Internet, les interprétations les plus folles se multiplient. Et le génie de la série va être d’alimenter ces réactions via l’utilisation judicieuse des plateformes médiatiques contemporaines. Des scènes coupées incluses dans les DVDs aux entrevues promotionnelles des acteurs (qui affirment tous ne connaître leur script que quelques jours avant les tournages), jusqu’à la participation des scénaristes à des entrevues et des blogues, tout est mis en place pour augmenter la discussion et la mystique entourant l’œoeuvre. Au beau milieu d’une deuxième saison qui, aussi ambitieuse soit-elle, semble multiplier les pistes narratives sans but, les scénaristes affirment que le récit global de la série est déjà complété, et qu’il sera accompli en six saisons. Alors que certains spectateurs se plaignent de la quantité grandissante d’indices anodins, les créateurs soulignent que rien n’a été laissé au hasard.

Cette habile autopromotion permet à la série d’acquérir un statut culte, qui sera renforcé par la complexité grandissante de la structure narrative et la quantité astronomique de retournements de situations. De ce point de vue, la cinquième saison est effectivement impressionnante. Non seulement les flashbacks, toujours présents, laissent de plus en plus la place aux flashforwards, mais le tout se déroule au sein de multiples espaces spatio-temporels. Jamais la structure narrative même d’une série n’a été à ce point mise en valeur. Cette complexité ludique se fait malheureusement au détriment de nombreux personnages de la série, qui n’ont rapidement plus aucun rôle à jouer. Ce choix créatif n’a pas fait que des heureux, puisqu’un certain nombre de spectateurs ont quitté le navire en cours de route. De ce point de vue, Lost est probablement la série actuelle ayant poussé le plus loin cette mise en valeur de l’arc narratif au détriment du récit épisodique.  La série ne fonctionne pas comme un feuilleton mais comme un roman. Inutile en effet de regarder un épisode de la série sans avoir vu ceux qui les précèdent. Bien sûr, cette radicalité, loin de nuire à la série, renforce d’autant plus son caractère culte, puisque les amateurs sentent ainsi qu’ils font partie des happy few capables de comprendre l’histoire. Et d’en débattre abondamment entre amis ou sur le web.


9 Décembre 2009