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Critiques

Louise-Michel

Gustave Kervern

par Helen Faradji

Irrévérencieux, teigneux, subversifs et forcément un peu dingues. Gustave Kervern et Benoît Delépine sont tout ça. Et pire encore. Décriés par les uns, adulés par les autres en France, où ils furent les piliers de Groland, une émission satirique sacrément gonflée, la paire s’est déjà commise au cinéma dans deux objets radicaux et déstabilisants : Avida et Aaltra.

La voie de Louise-Michel, primée à Sundance pour son originalité et à San Sebastian pour son scénario, est moins tortueuse, plus claire. Pas un film de famille non plus, faudrait pas exagérer, mais on y sent, sans nul doute, les deux cinéastes animés par un souci de mieux se faire comprendre. Dans une comédie noir corbeau et délirante inspirée d’un fait-divers survenu dans la région d’Angoulême qui affiche partout son véritable sujet : l’anarchie. Ce ne sera pas la moindre de ses contradictions.

Anarchie donc d’abord par ce titre-hommage à la grande militante anarchiste du XIXe placée dans le film comme une figure tutélaire. Anarchie ensuite dans ce profond sentiment de liberté qu’il ne cesse de faire souffler, dans la lutte sincère contre l’injustice qui l’anime de bout en bout. Anarchie enfin par le truchement de personnages improbables, peut-être plus dans la survie que dans la vie, mais chez qui le « ni dieu, ni maître » semble une vraie règle de fonctionnement. Il n’y a aucune loi dans leur monde. Ils y sont paumés, peut-être, mais qui ne l’est pas? Eux, ce sont Louise, une ouvrière analphabète et Michel, un « tueur à gages » paranoïaque et trouillard. Eux, ce sont des petites gens qui par la force des choses et pour la première fois vont prendre leur destin en main en décidant d’aller assassiner le patron de Louise qui a fermé son usine. Sans manuel de savoir-vivre, sans norme pré-établie, sans chemin tout dessiné. Sans dieu, ni maître, donc.

Mais un patron, qu’est-ce que c’est exactement? Plantant leurs crocs sans ménagement dans l’organisation du travail et de la hiérarchie de notre nouveau monde mondialisé, fustigeant la précarité et le mécanisme des délocalisations, Kervern et Delépine pointent donc leur caméra du côté des David de ce monde leur donnant pour une rare fois droit à l’héroïsme. Évidemment, ce sont Yolande Moreau et Bouli Lanners, deux acteurs à la singularité extraordinaire, qui s’y collent. Qui d’autre? Comme chez les Coen, on comprendra pourtant bien vite que dans le genre de réalité que les deux cinéastes ont concocté, un héros de cinéma n’a pas vraiment sa place. Au mieux, on peut s’en inspirer. Au pire, ça nous retombe sur le bout du nez. Comme chez les Coen, l’humour noir viendra aussi s’inviter dans la danse. Mais chez Kervern et Delépine, l’humour sera aussi social. À l’os. Un humour miroir où l’on se regarde en grinçant des dents. Un humour endossant véritablement son rôle de politesse du désespoir. Car, dans Louise-Michel, la vie est loin d’être un conte. La vie est affreuse, sale et méchante. On y patauge comme on peut, en attendant. En attendant quoi? La mort ou un miracle.

Pour supporter, pour que peut-être la poésie naisse, il en fallait de l’humour. Et beaucoup encore. De l’humour acide et provocateur, qui tire dans tous les sens peut-être, qui rate la cible parfois, mais qui est là sans cesse, pour nous faire avaler la pilule d’un monde indigne et cynique. Et c’est alors que la tendresse et même l’empathie arrivent à naître. Sous ses airs de film à gros bras qui ne respecte rien ni personne, et malgré une mise en scène où le minimalisme paraît parfois manquer de cohérence, Louise-Michel est surtout un film carnavalesque qui n’arrive jamais à faire disparaître sa compassion et son amour gros comme un camion pour ses héros. Des héros bancals, des héros ravagés, des héros azimutés, mais des héros aimés. Du fond du coeœur. Ce n’était vraiment pas le pire de ce qui pouvait leur arriver.

 


6 août 2009