Lulu, femme nue
Solveig Anspach
par Céline Gobert
Au début de l’année 2012, un séisme féminin a secoué les cinéphiles français : Louise Wimmer, une cinquantenaire à la voix rauque, adepte de Nina Simone, fauchée et forcée de camper dans sa voiture. Le film éponyme de Cyril Mennegun (toujours pas sorti ici !) était alors le (vrai) premier film français depuis des lustres à oser tout miser sur une héroïne semblant sortir tout droit d’une œuvre de Cassavetes, une figure féminine forte et déterminée à conquérir et à assumer sa liberté. Dans sa peau : la renversante Corinne Masiero. Cette géniale Corinne Masiero que l’on a retrouvée depuis en conseillère de probation dans le Suzanne de Katell Quillévéré, autre portrait sublime d’une jeune femme portée par son besoin de liberté. Cette Corinne Masiero que l’on retrouve ici chez Solveig Anspach (Queen of Montreuil), dans un second rôle (celui d’une méchante patronne…). Pas de hasard : la gentille Lulu (Karin Viard) s’inscrit dans le sillage de ces néo-héroïnes françaises en fugue – des épouses et des mères qui s’échappent et s’émancipent, et qui, au passage, redéfinissent la figure de la femme française contemporaine au cinéma. On pense, en plus du film de Quillévéré, aux femmes mûres que sont la Bettie (Catherine Deneuve) de Elle s’en va d’Emmanuelle Bercot, la Caroline (Fanny Ardant) des Beaux Jours de Marion Vernoux, ou encore la Juliette (Emmanuelle Devos) de La Vie Domestique d’Isabelle Czajka. Toutes, à leur façon, réfléchissent les différents (et possibles) visages de la femme moderne. Par elles s’incarnent à la fois les grandes thématiques sociales qui secouent la France actuelle – la crise et le chômage, la monoparentalité, la retraite – et les changements que connaissent d’autres intemporelles et riches thématiques telles la maternité, la sexualité et le rapport aux hommes. Notons d’ailleurs qu’à l’exception de Louise Wimmer, toutes ces héroïnes, de Bettie à Lulu, ont été filmées par des femmes cinéastes de plus en plus représentées dans le cinéma français – réalité qui prolonge (hors champ) la réflexion entamée à l’écran sur la place de la femme dans la société française.
Avec Lulu, initialement personnage de BD croqué par Etienne Davodeau, la réalisatrice d’origine islandaise Solveig Anspach retrouve Karin Viard plus de dix ans après son premier long-métrage Haut les cœurs ! (qui a d’ailleurs valu un César à l’actrice). Sa Lulu décide de ne pas rentrer chez elle après un entretien d’embauche raté. C’est le début d’une aventure côtière, truffée de rencontres et de remises en questions. A l’instar d’Agathe, veuve lunaire qui doit réapprendre à vivre sans son mari dans Queen of Montreuil, précédent film d’Anspach, Lulu est une héroïne paumée, qui plus est soumise à son mari violent, dominateur et irrespectueux. Elle est peu assurée, en retrait, s’excuserait presque de respirer et de vivre. Le film (et ce n’est pas un reproche) possède et vise des enjeux très simples : Lulu apprend à être plus sûre d’elle, Lulu se réapproprie son corps et sa sexualité, Lulu (re)découvre son soi profond. Dans sa fuite, elle ne court qu’après elle-même. En exprimant une liberté retrouvée, sa nudité-titre prend tout son sens : femme nue – ou bien mise à nu – pas seulement parce qu’elle se dénude lors d’une scène sur une plage afin de savourer un bain de minuit mais surtout parce qu’elle s’allège petit à petit de ses fardeaux – son couple, sa maison-prison, son rôle social et…. ses enfants ! Sa fille adolescente viendra d’ailleurs se rappeler à elle et l’accuser de l’abandonner – symbole d’une société qui se refuse encore à questionner la maternité. Comme dans Suzanne, la femme qui fait passer ses intérêts propres avant ceux de ses enfants est perçue comme le pire des démons. Sous ses allures sages et peu révolutionnaires (et c’est vrai : le film s’écoule comme un long fleuve tranquille), Lulu femme nue redéfinit pourtant avec élégance certains canons féminins mais aussi masculins. Bouli Lanners, absolument convaincant, y joue ainsi un rôle de séducteur et d’amant singulier, qui s’il ne correspond ni aux diktats de beauté (l’ado, encore, dira avec mépris qu’il est « gros »!), ni aux bienséances (il sort de prison et n’a pas de carrière) correspond parfaitement à Lulu. Cette douce (r)évolution d’un personnage qui n’a jamais vécu que pour les autres, Solveig Anspach ne la rend jamais nunuche. Lulu, attachante car dépeinte avec une tendresse et une admiration non feintes, n’est définitivement pas la ménagère émancipée sortie d’une oeuvre à l’eau de rose ou d’un magasine féminin, mais bien la femme (de cinéma) du futur – celle qui décide de s’écouter, de s’aimer, et de se faire du bien. On peut y voir une certaine forme de féminisme tranquille, qui s’exprime sans fantasme ni glamour, à hauteur de femme, réaliste, quotidien.
La bande-annonce de Lulu, femme nue
11 septembre 2014