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Critiques

Mad Dog Labine

Jonathan Beaulieu-Cyr et Renaud Lessard

par Aude Renaud-Lorrain

« Vous sentez-vous fou autant qu’on s’en fout? » pourrait être le modus operandi de Lindsay et Justice, deux polissonnes qui vagabondent dans les rues de Portage-du-Fort et de Fort-Coulonge, alors que le père et les frères de Lindsay sont partis à la chasse en la laissant délibérément derrière. Le ton léger, à la fois comique et critique, de la chanson « Nous autres on s’en fout » de Plume Latraverse, vient curieusement résonner dans Mad Dog Labine, premier long-métrage de Jonathan Beaulieu-Cyr et Renaud Lessard. Alternant entre la mise en scène et une approche documentaire, le film puise dans la tradition du cinéma direct avec la collaboration d’acteurs non professionnels, le portrait franc que le film dresse du Pontiac, et surtout la façon dont le scénario s’imprègne des lieux et des personnes qu’il croise.

Le duo n’en est pas à sa première collaboration et, avec Mad Dog Labine, il nous donne à entendre et à voir le charme d’une région méconnue des gens de passage, ainsi que celui de celles et ceux qui y habitent et qui s’épanouissant devant la caméra. C’est une bouffée d’air frais, un cri d’exultation, une « ride en pick-up ». La beauté montrée dans le film est une beauté de l’ensemble et de l’instant, elle n’est pas trafiquée ou enjolivée ; elle est tout simplement vraie, comme lorsque les couleurs orangées du crépuscule transforment les panneaux de signalisation en silhouettes immobiles et rêveuses.

Alors qu’un billet de loto gagnant propulse l’histoire de Lindsay et de Justice dans une quête, le jeune Pascal Beaulieu, 13 ans, dans sa chaloupe, raconte l’histoire du Pontiac et de son attachement à ce dernier malgré les difficultés économiques de la région. L’animateur radio de « Vol de nuit », Julien Poulin, nous décrit de sa voix grave ses histoires de chasse et de silence, le sentiment qui nous habite lorsqu’on couche la bête, car « chaque bête que tu couches te fait vieillir de dix ans, je ne sais pas comment raconter ça, c’est beau en calvaire, » nous avoue-t-il.

L’originalité de ce film se trouve dans une transparence du dispositif où le documentaire ne se cache pas derrière la fiction, mais s’affiche comme tel, à part entière. La mise en scène documentaire est assumée ; certaines personnes s’adressent directement à la caméra, on entend la voit d’un des réalisateurs poser des questions et dialoguer avec les gens filmés. Bien que la parole soit fondamentale et qu’elle témoigne non seulement des désirs et des frustrations des personnages, mais aussi des réalités multiples du Pontiac, comme le chômage, l’exode vers les villes, l’importance de la communauté et la place des jeunes dans les régions, nous n’atteignons pas ici la subtilité et la profondeur des films de Pierre Perrault, mais là n’est pas l’objectif. Mad Dog Labine échappe aux classifications, et, bien qu’on puisse parler de « docufiction », quelque chose dépasse cette catégorie. Comme si deux films se faisaient face et se répondaient. Les histoires fictives et réelles s’entremêlent sans se confondre dans une fluidité étonnante, enrichissant ainsi la narration, alors que le scénario, malgré les revirements de situation cocasses, ne vise pas à tenir le spectateur en alerte, mais plutôt à permettre aux personnages de vivre et de s’exprimer.

Jouant sur la dichotomie entre les villes et les régions, sans tomber dans la condescendance, Mad Dog Labine échappe à la caricature exotique des campagnes, mais aussi des étrangers, comme ce groupe de jeunes voyageurs qui fantasment sur un futur bucolique, le temps d’une nuit. La rencontre de Lindsay et de ces jeunes est festive et douce, mais elle s’évapore dès le lendemain matin, alors que les citadins sont repartis et que Lindsay reste, pour une deuxième fois, derrière. Cette fois, ce n’est pas la colère qui l’habite, elle est toujours un peu boudeuse, mais paisible. Elle n’a pas le désir de partir, mais de rester bien au contraire.

Et pour terminer par le tout début du film, Pascal, canne à pêche à la main, nous parle de bois, de sirop d’érable, de l’air pur de sa région, et nous dit : « ça c’est tout ce que je sais sur le Pontiac, j’te laisse avec cette information-là, fais ce que tu veux avec, j’m’en fous complètement. » En voilà un autre qui rejoint Plume Latraverse et, par ce choix d’ouverture, le duo Beaulieu-Cyr–Lessard nous prépare à ce qui va suivre. Le spectateur, lui, ne s’en fout pas… il est charmé par ce regard sensible sur cette jeunesse éveillée, fougueuse et impétueuse.

Mais le spectateur est effectivement prévenu. Il doit se préparer à monter sur le ring avec Mad Dog Labine, championne mondiale de lutte, car « malgré sa belle apparence physique, elle a eu 45 ‘oeils’ au beurre noir ». Les coups donnés ne seront pas mortels, mais mordants.


16 avril 2019