Magic in the Moonlight
Woody Allen
par François Jardon-Gomez
Bon an, mal an, Woody Allen réalise un nouveau film. Une certaine familiarité, voire une fidélité, s’est installée entre l’œuvre de « Woody » et son public même si les dix dernières années n’ont pas toujours été fastes pour le cinéaste (Melinda and Melinda, Scoop, To Rome with Love). Heureusement, certains bijoux récents (Match Point, Cassandra’s Dream, Blue Jasmine) permettent toujours d’espérer que le nouveau Woody sera réussi. Espoir déçu car avec Magic in the Moonlight, Allen offre un film bancal, comme un tour de magie prometteur mais dont on voit toutes les ficelles et qui manque son dévoilement final.
Nous sommes cette fois en 1928 quelque part dans le sud de la France. Stanley, un magicien britannique qui performe sous le nom (et le déguisement) de Wei Ling Soo, est appelé à la rescousse par son ami et collègue Howard Burkan. Celui-ci a été mandaté, sans succès, par une riche famille de socialites afin d’évaluer la véracité des affirmations d’une jeune médium américaine, Sophie Baker, qui prétend pouvoir communiquer avec l’au-delà. Ce faisant, la jeune femme (aidée de sa mère) pompe un maximum d’argent à la famille pour ses services dans le but de mettre sur pied un institut de recherche sur le paranormal. Inévitablement, les contraires finiront par s’attirer alors que Stanley et Sophie tentent chacun de voir clair dans le jeu de l’autre sans dévoiler leurs véritables intentions.
Allen, comme à son habitude, revisite des thèmes et des débats qui seront familiers aux habitués de son œuvre. Entre raison et superstition, doute et foi, réalisme et magie, les personnages sont divisés en deux camps diamétralement opposés. D’un côté se trouve Stanley, dont la raison n’a d’égale que le cynisme et la conviction absolue qu’il n’y a rien d’autre qui existe que ce qui se trouve sous nos yeux; de l’autre, Sophie, pour qui le monde possède un peu de magie et dont les talents de médium confondent même les plus sceptiques. Les comédies récentes d’Allen tendent à intégrer au centre du récit un drame philosophique qu’il faudra résoudre : ici, Stanley et Sophie débattent à savoir s’il vaut mieux croire en quelque chose d’irrationnel – quitte à vivre dans l’illusion – ou si, par excès de prudence, mieux vaut ne croire exclusivement qu’en sa propre personne. Ces questionnements apparaissent forcés au sein d’un film qui produit pourtant de bons moments de comédie, mais on regrette que Allen ne réussisse pas à développer des personnages et des situations moins prévisibles lorsqu’il s’agit de se prendre au sérieux – ce dont le cinéaste est pourtant parfaitement capable dans ses films ouvertement dramatiques des dernières années, plus aboutis, comme si la mélancolie lui allait mieux avec le temps.
Magic in the Moonlight pêche par manque d’intérêt de son scénario qui progresse avec minutie, mais sans surprise, et apparaît comme la récitation bien menée, mais sans âme, d’une série de thèmes et rebondissements convenus accompagnés par le traditionnel standard de jazz (cette fois You Do Something to Me de Cole Porter). On s’ennuie parfois ferme devant la valse-hésitation entre Stanley et Sophie, particulièrement dans les dernières quinze minutes alors que le dénouement, prévisible depuis le départ, se développe à coup de dialogues forcés et répétitifs entre Stanley et sa tante.
Pourtant, le travail de mise en scène, s’il n’échappe pas à l’effet carte postale de beaucoup des récents films du cinéaste (encore ici, la direction photo de Darius Khondji, qui avait également travaillé sur Midnight in Paris, est magnifique), regorge de bonnes idées et ressemble, en y regardant de plus près, à un exercice de style assez saisissant. La direction artistique magistrale recrée des décors et des habits d’époque avec beaucoup de précision, mais la caméra du cinéaste invite à plus qu’une habile reconstitution d’époque. La profusion des fondus enchaînés, les prises de vues de face lors des scènes de ballade en voiture, la musique jazz qui accompagne les séquences de transition et même les longs plans fixes qui captent plusieurs acteurs en même temps pour les laisser se déplacer dans le cadre évoquent un film qui aurait été tourné au tournant des années 1920.
On peut imaginer qu’Allen, comme le spectateur, aimerait être séduit et croire en la magie de l’amour. À presque 80 ans, le cinéaste semble de plus en plus porté par une nostalgie de ces époques qu’il n’a pas connues, mais où la magie, voire la naïveté, étaient encore possibles. Sceptique convaincu, Allen a souvent confronté son rationalisme cynique à des questions de supernaturalisme fantasque, parfois avec plus de réussite (The Purple Rose of Cairo, Midnight in Paris, You Will Meet a Tall Dark Stranger) que d’autres (Scoop, A Midsummer Night’s Sex Comedy). Magic in the Moonlight est à ranger dans la seconde catégorie.
La bande annonce de Magic in the Moonlight
7 août 2014