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Critiques

Maman est chez le coiffeur

Léa Pool

par Jason Béliveau

Le Québec chérit ses années 60 et ne se gêne pas pour les revisiter dans son cinéma, la plupart du temps à travers le regard encore immaculé de l’enfant. Les sièges banane, les culottes courtes, les boîtes à savon et les chansons un peu naïves, voire ringardes, sur fond de révolution tranquille : la formule est connue de tous. Après C.R.A.Z.Y. de Jean-Marc Vallée en 2005, Un été sans point ni coup sûr de Francis Leclerc et C’est pas moi, je le jure! de Philippe Falardeau en salles dernièrement, Maman est chez le coiffeur de Léa Pool sort cette semaine en DVD pour nous réinsérer dans cette niche nostalgique si chère aux baby-boomers. Pour ceux qui s’en souviennent, les films de Falardeau et de Pool sont à l’origine d’une légère commotion survenue l’an passé, du fait qu’ils sont partiellement basés sur les souvenirs d’enfance de Bruno et d’Isabelle Hébert. Le premier est l’auteur des romans C’est pas moi, je le jure! et d’Alice court avec René, qui servirent de références pour le film de Falardeau, la deuxième, sœur du premier, est la scénariste du film de Pool. On se questionnait à l’époque sur les similarités des deux projets et sur la validité du choix de la SODEC de les financer la même année. Les variations sur un même thème ne sont pas critiquables en soi (surtout lorsqu’elles sont mises en scène par des cinéastes de la trempe de Pool et de Falardeau), mais force est d’admettre que pour l’originalité dans le choix des films financés par nos institutions, on repassera.

Été 1966, en Montérégie. Une mère journaliste (Céline Bonnier), un père microbiologiste (Laurent Lucas), trois enfants : Élise, Coco et Benoît. Le père entretient une relation adultère avec son compagnon de golf, la mère l’apprend et quitte la famille pour travailler en Angleterre, les trois enfants sont livrés à eux-mêmes. À l’intérieur des sentiers battus, il est nécessaire de se rabattre sur ses acteurs et sur sa réalisation pour hameçonner le spectateur. Marianne Fortier, découverte dans l’adaptation récente d’Aurore et interprétant ici la jeune Élise, offre une interprétation habitée, envoûtante, magnifiée par le jeu un peu moins constant que celui des autres jeunes acteurs. On a beaucoup parlé d’Hugo Saint-Onge-Paquin, qui interprète Benoît, le cadet de la famille et l’enfant plus affecté par le départ de la mère. Même si le personnage fascine, il ne peut échapper aux nombreux raccourcis scénaristiques du film, au point où l’on ira jusqu’à expliquer son apparente lenteur en le diagnostiquant surdoué dyslexique. C’est pathologique, la sensibilité. Même histoire avec monsieur-mouche, interprété par Gabriel Arcand. Reclus vivant dans une roulotte et vendant des mouches confectionnées pour la pêche, le personnage, faute de temps et d’attention, n’est qu’un autre de ces individus étranges et solitaires s’attachant aux jeunes personnages principaux comme on en voit si souvent au cinéma.

Mais en favorisant une focalisation serrée sur les enfants du couple séparé, Pool réussit quand même à faire oublier ces détails fâcheux et à retenir l’attention du spectateur. Les images de Daniel Jobin y sont aussi pour quelque chose. La Montérégie ici respire d’une chaleur bucolique qui enveloppe les enfants; leurs terrains de jeux naturels les séparant totalement de leurs parents, enfermés dans leurs problèmes et leurs maisons blafardes. Ces derniers, on les voit de loin, tellement que l’on pourrait se croire dans un comic strip de Peanuts. Ils sont la perte de l’innocence, celle qu’Élise se bat pour garder un été de plus, celle que Coco investit dans la construction obsessionnelle d’un bolide dans le garage et celle que Benoît voit déchirée sans savoir comment réagir. Le film de Pool est un instantané efficace de ces étés charnières où justement, sans trop comprendre comment, l’on devient un peu plus vieux.


6 novembre 2008