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Critiques

Man Hunt

Fritz Lang

par Marcel Jean

Tout le monde connait l’anecdote, Jean-Luc Godard la raconte d’ailleurs dans une scène du Mépris : Fritz Lang est reçu par Goebbels qui lui propose de prendre la tête de la cinématographie nazie, le cinéaste écoute poliment, accepte l’offre, sort du bureau comme si de rien n’était, se rend à la gare et prend le train pour Paris, quittant définitivement l’Allemagne. Nous sommes en 1933. Lang devient citoyen américain en 1935 et tourne un premier film à Hollywood en 1936 (Fury).

    Man Hunt (1941), qui sort enfin en dvd, est le premier de ses quatre films de propagande anti-nazi. Un long métrage longtemps sous-estimé, dont le style allusif est pourtant représentatif de la manière de Lang, qui retient de l’expressionnisme une façon de travailler l’ombre et une conception claustrophobe de la mise en espace. Le réalisateur y reprend, sous un angle complètement différent, le thème de la traque déjà exploité dans M, son chef d’œoeuvre de 1931. D’un bout à l’autre du film il parvient habilement à maintenir la tension, relançant constamment l’action, réussissant à donner vie à des personnages en deux plans à peine (on pense ici au moussaillon joué par Roddy McDowall). Du travail de maître! Une sorte de film noir réalisé en marge du genre.

À la question : pourquoi Man Hunt maintenant? Une réponse toute simple : parce que Valkyrie, la méga-production de Bryan Singer avec Tom Cruise. C’est que Valkyrie raconte le complot raté (et réel) de quelques officiers allemands contre Hitler, tandis que Man Hunt s’intéresse à un officier anglais (fictif), chasseur célèbre, arrêté par un garde dans la forêt entourant la résidence du Führer, alors que le canon de son arme est pointé en direction du petit homme à moustache… Il y a, pour ainsi dire, une parenté…

Sauf que dans Man Hunt, Lang joue de l’ambigüité concernant les intentions de son personnage principal. Le capitaine Thorndike (interprété par l’acteur canadien Walter Pidgeon) souhaitait-il vraiment tuer le dictateur, où s’agissait-il plutôt d’un geste sportif consistant simplement à placer la proie dans le viseur? Il faudra tout le film pour parvenir à clarifier la situation, pout qu’aucun doute ne persiste quant à la volonté de Thorndike.

Adapté d’un roman à succès de Geoffrey Household intitulé Rogue Male, Man Hunt devait d’abord être réalisé par John Ford, qui déclina (c’est Dudley Nichols, le scénariste attitré de Ford, qui signe l’adaptation). Tourné en mars 1941, le film sortit aux États-Unis en juin de la même année, alors que les États-Unis et l’Allemagne n’étaient pas encore en guerre. L’action se déroule d’ailleurs entre la Bavière et Londres, mettant aux prises des Allemands et des Britanniques. Farouchement opposé aux nazis qu’il connait mieux que n’importe quel cinéaste américain de l’époque, Lang les présente comme des adversaires sournois et démoniaques, capables d’infiltrer les institutions anglaises encore trop peu soupçonneuses.

Le dvd qu’offre la 20th Century Fox est généreux, proposant notamment un Rogue Male : the Making of Man Hunt, documentaire plutôt bien conçu, d’une durée de 17 minutes, qui déborde les secrets de fabrication pour amorcer une intéressante analyse thématique. On y trouve aussi un commentaire de Patrick McGilligan (connu pour être l’auteur d’ouvrages consacrés à Lang, mais aussi à Hitchcock, à Cukor et à Eastwood), ainsi que plusieurs galeries d’images. Le film a bénéficié d’une restauration numérique fort satisfaisante, la qualité de l’image étant exceptionnelle pour un dvd vendu à si bas prix. Enfin, signalons que cette édition comprend des sous-titres français optionnels.


20 août 2009