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Critiques

Manchester by the Sea

Kenneth Lonergan

par Helen Faradji

Arrival de Denis Villeneuve, Moonlight de Barry Jenkins, L’Avenir de Mia Hansen-Love et aujourd’hui, Manchester by the Sea de Kenneth Lonergan… étrange quatuor. Et pourtant, si elle est bien sûr fruit du hasard, la coïncidence temporelle de la sortie de ces films sur nos écrans conduit sans aucun doute à vouloir les rapprocher et à instituer la douceur comme nouvel ingrédient du cinéma du moment. Non qu’elle n’ait avant cela infusé de nombreuses oeuvres, mais force est de constater que ces quatre films savent comment, en la débarrassant de toute mièvrerie ou de toute sensiblerie, la revaloriser et s’en servir pour constituer des bulles où le temps et le tempo des récits deviennent d’étonnants remparts contre l’agressivité et la violence du monde réel.

Si Arrival, qui évoque le destin d’une linguiste confrontée à une invasion extra-terrestre, et Moonlight qui, lui, suit sur trois temps celui d’un jeune homosexuel noir dans un quartier défavorisé de Miami, véhiculent cette douceur  par leur direction photo d’une grande délicatesse ou en l’utilisant pour caractériser leurs personnages principaux de façon assez inédite, et sans aucune condescendance, L’Avenir et Manchester By The Sea, curieusement proches l’un de l’autre, misent, pour leur part et pour l’essentiel, sur leurs récits qui progressent selon une construction extrêmement solide, sans jamais nous donner pour autant l’impression qu’ils font tourner leurs rouages de façon calculée. Une douceur l’air de rien, en somme, qui instille alors un climat, une atmosphère, rendant l’ordinaire extraordinaire, simplement parce qu’on sait le regarder.

La Française Hansen-Love, qui observe une femme (Isabelle Huppert) forcée de reconstruire sa vie et ses idéaux éparpillés en mille morceaux, et l’Américain Lonergan qui s’attache à un homme (Casey Affleck, bloc de douleur muette) obligé de se reconnecter à la vie après que son frère, décédé, l’ait nommé tuteur de son fils de 16 ans (l’étonnant « Jesse-Eisenbergien » Lucas Hedges), ont en effet ce point commun de savoir – une rareté – laisser le temps au temps, de ne pas avoir peur des mystères, des non-dits ou des silences. Une façon, parmi les plus belles, de prendre le spectateur au sérieux en lui refusant tout réconfort spectaculaire et en préférant aux étalages mécaniques des passions artificielles le naturalisme simple et beau de la vie qui passe telle qu’elle est.

Car, c’est bien la façon dont le récit de Manchester by the Sea se déploie et atteint son ampleur qui impressionne. Chouchou du dernier festival de Sundance, le film a en effet cette puissance tranquille qui semble grandir à chaque plan filmé dans les rues ou maisons du Massachussetts. Une profondeur que la mise en scène ne paraît jamais provoquer, mais qu’elle accompagne, en toute sérénité, en s’effaçant presque devant les personnages, même secondaires, devant leur complexité, leur contradictions, leur épaisseur. Car les « héros » de ce beau film ne se résument pas à un ou deux traits digestes : ils sont laids autant qu’ils sont sublimes, petits autant que géants, violents autant que bienveillants. Ils sont ordinaires, banals, frustes même, et c’est en se tenant à leurs côtés, sans chercher à percer leur carapace ou à les réduire, que Lonergan parvient alors à les sublimer, à les grandir, à les rendre dignes du grand écran, anoblissant par exemple leurs émotions les plus tragiques par un adagio d’Albinoni ou en animant la grise atmosphère de deuil de quelques dialogues aussi judicieux que crève-cœur (comme dans une bouleversante scène d’impossibles retrouvailles entre cet homme perdu et son ex-femme, fragile et merveilleuse Michelle Williams).

De cette poétisation du banal, de cette dignité dont ces mises en scène les plus simples savent parer des personnages au bord du gouffre, naissent alors des films qui, parfois douloureusement, toujours en étant très cathartiques, font le pont entre le plus cruel, le plus brutal et le plus quotidien, en nous touchant droit au cœur. Et ce, avec un égalitarisme et une absence de préjugés confondante. Car, force est de constater que cette douceur, fort émouvante, fonctionne de la même façon, qu’elle accompagne la débandade d’une bourgeoise parisienne ou le lent et peut-être impossible retour à la vie d’un prolétaire de la Côte Est des États-Unis.

La bande annonce de Manchester by the Sea


25 novembre 2016